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présentation de New-York. Olympia Brown a été régulièrement ordonnée ministre du saint Évangile. Hélène-Marie Weber, simple fermière, s’est montrée sur les marchés, où elle vient vendre ses produits revêtue du costume masculin. Toutes ces dames cependant se contentent de l’égalité; Élisa Farnham, plus hardie, a résumé peut-être le vrai sens de cette situation toute nouvelle que les circonstances ont faite à la femme en Amérique en proclamant nettement la supériorité de la femme sur l’homme. Ce n’est pas un partage, dit cette dame, qu’il faut à la femme, c’est la domination. Jamais on n’a encore malmené notre sexe avec une pareille verdeur. Selon cette prophétesse, les jours sont venus où les hommes, race grossière et brutale d’usurpateurs, doivent céder cette domination, qu’ils ont exercée jusqu’ici au grand détriment de l’humanité, aux femmes, qui sont plus parfaites qu’eux, étant de trempe plus délicate et plus sensible. Les facultés de l’homme sont rudimentaires, comparées à celles de la femme; ce que l’homme est au gorille, la femme l’est à l’homme. L’homme, il est vrai, se vante de son intelligence; mais dans cette faculté Élisa Farnham ne peut voir qu’une sorte de main spirituelle qui, à l’instar de la main matérielle, a besoin d’être dressée à saisir, et qui, même lorsqu’elle est dressée, ne parvient qu’à saisir lourdement les idées les plus communes et les plus rapprochées d’elle; mais la faculté de la femme, l’intuition, partage la nature de l’œil et voit ce que l’intelligence ne peut atteindre. En outre un être n’est-il pas d’autant plus parfait qu’il est plus complexe, et l’organisme féminin n’est-il pas plus complexe que l’organisme masculin? Tout cela est dit sérieusement, avec autorité et conviction, car Élisa Farnham a passé l’âge des excentricités et, loin d’avoir connu les folies brillantes, elle a mené une existence pleine de deuils et de fatigues. C’est en 1842, juste la même année où Joseph Smith reçut du ciel l’ordre de rétablir la pluralité des femmes, que l’idée première de cette supériorité du sexe féminin germa dans l’esprit d’Élisa Farnham; il y a donc vingt-cinq ans qu’elle est occupée à matagroboliser ces belles théories, comme dit Rabelais, théories plus excentriques que neuves, car au fond elles reposent sur l’ancien antagonisme de l’intelligence et de l’instinct et sur la vieille querelle de la logique et de l’intuition.

Est-ce à cette situation particulière des femmes en Amérique ou à une décadence des croyances religieuses qu’il faut attribuer un sentiment qui s’est manifesté, je le crains, ailleurs encore qu’aux États-Unis, sentiment sur lequel il est délicat de se prononcer, mais qui ne peut manquer d’être un des plus puissans comme il est un des plus subtils agens de dissolution du lien social que l’esprit d’anarchie ait pu inventer? Nous laisserons M. Dixon expliquer en quoi ce sentiment consiste :