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Un point plus contestable, c’est la prétendue influence que M. Dixon attribue aux sauvages sur les institutions et les principes politiques de l’Amérique. Selon lui, la constitution des États-Unis serait fondée sur la philosophie politique des sauvages, et les théories des droits des états et de l’extension, non par la conquête, mais par l’annexion des populations, seraient d’origine iroquoise. Il y a dans cette allégation quelque chose de très vrai pour ce qui concerne la méthode d’annexion propre aux États-Unis; mais, pour ce qui est de la théorie des droits des états, vrai fondement de la république, théorie bien malade, hélas! aujourd’hui, si même elle n’est défunte, il me paraît plus sage de continuer à croire qu’elle a sa source dans les habitudes anglaises de liberté municipale, dans les tendances germaniques à la décentralisation, dans les principes religieux du protestantisme, dans la différence d’origine des divers états. La théorie des droits des états, c’est la dernière et très pure incarnation de la liberté féodale, qui, après bien des avatars successifs, est arrivée, en se perfectionnant toujours, à se mettre en harmonie avec la raison et la justice.

Les Peaux-Rouges ayant si heureusement réussi à faire des blancs leurs imitateurs en férocité, le lecteur ne sera point surpris d’apprendre que la ville de Denver, dans le district du Colorado, peut être décrite comme une véritable cité de démons, — de démons mâles s’entend, car, jusqu’à ces derniers temps, Denver, la cité des plaines, était habitée exclusivement par des mineurs et des pionniers célibataires, dont les plus riches faisaient leurs délices des Indiennes et des négresses. La nécessité crée les mœurs; on peut juger de celles de Denver par la petite statistique que voici : la ville a quatre mille habitans, une demi-douzaine de chapelles, cinquante maisons de jeu et cent cabarets.


« Une maison sur cinq paraît être un cabaret, une maison sur dix paraît être un lieu de prostitution ou un tripot; elle est souvent les deux. Dans ces horribles bouges, la vie d’un homme ne compte pas plus que celle d’un chien. Jusqu’à ces deux dernières années, où les choses commencèrent à changer en mieux, il était presque immanquable que les honnêtes gens fussent chaque nuit réveillés de leur sommeil par l’explosion d’une arme à feu; lorsque venait le jour, on découvrait qu’un cadavre avait été lancé d’une fenêtre dans la rue. Jamais on ne faisait d’enquête sur les causes de ces morts. Les honnêtes gens disaient simplement : « Bon, il y a un pécheur de moins dans Denver, et puisse son meurtrier subir aujourd’hui le même sort!... » Une dame que je trouvai à Denver, femme d’un ex-maire de cette ville, me dit que lorsqu’elle arriva, il y a cinq ou six ans, il y avait, en outre des criminels, soixante personnes couchées dans le petit cimetière dont aucune n’était morte de