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proclier à plus de sept milles de ces murs qu’il remplissait de larmes et d’imprécations. C’est pour cela qu’il ne voulait commettre rien d’irréparable, ne s’engager par aucun acte, afin de ne s’exposer à aucunes représailles et de pouvoir dire au libérateur : « Mais Rome est libre, je n’ai rien usurpé. » Avec cette pensée, on peut relire Tacite : dès lors les incertitudes de Tibère, sa politique au début, son attitude honteuse, ses faux-fuyans, ses mensonges, ses habiles refus, son dégoût du pouvoir, s’expliquent par la terreur que lui inspire Germanicus. Séparé par de si grandes distances, il ignore longtemps ce que son neveu a décidé, et de sa décision dépend sa propre destinée aussi bien que celle du peuple romain.

Or Germanicus n’a rien résolu; il a pris le parti le plus commode, il reste sur la frontière, il y reste fidèle. Il ne privera point le monde du bonheur d’obéir à Tibère, puis à Caligula, puis à Néron. Il n’essaiera ni de rendre la liberté à sa patrie ni de restaurer la grandeur romaine. Quel est donc l’historien qui prétendait que le fils de Drusus n’avait jamais été inférieur à sa fortune? On doit affirmer au contraire qu’il a été au-dessous de sa fortune, qu’il n’a pas eu l’audace honnête, salutaire, patriotique, qui fait qu’on remplit le plus difficile des devoirs. Il a préféré ce devoir inerte qui s’appelle l’obéissance; il n’a songé qu’à sa propre sécurité et a laissé retomber à terre la cause si belle que l’humanité remettait entre ses mains. L’étendue de sa faute peut se mesurer à la joie immense que Tibère et Livie témoignèrent en apprenant que Germanicus faisait prêter serment au nouvel empereur. Alors seulement Tibère agit en maître et Livie se crut toute-puissante, alors seulement l’empire fut consacré par des formules décisives. On rit d’abord à la cour de ce candide et vertueux Germanicus; on le laissa pendant trois ans guerroyer sur le Rhin, se perdre dans les forêts, pénétrer jusqu’à l’Océan, occuper l’activité de ses soldats par des marches et des contre-marches, s’exposer à des dangers sérieux, car c’était un bon et courageux général qu’Agrippine soutenait et secondait merveilleusement. On le laissa libre et heureux, pendant que le pouvoir de Tibère et de Livie s’affermissait à Rome, jusqu’au jour où l’éclat de ses victoires et l’amour de ses légions réveillèrent les craintes assoupies de Tibère. On ne pouvait souffrir qu’une gloire si pure resplendît plus longtemps; on le rappela : grande imprudence, car ce retour était pour Germanicus une seconde occasion d’accomplir les promesses de Drusus et de disposer d’un peuple qui s’était depuis longtemps donné à lui.

De peur de mécontenter son neveu, Tibère l’avait désigné pour être consul et lui avait accordé le triomphe. D’ordinaire les triomphateurs campaient hors des murs avec l’élite de leurs troupes, et,