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telligente, dont elle avait pris tout l’orgueil. Cette violence, soutenue par une énergie frop virile, et sa soif de domination accumulaient les dangers en paraissant les braver. Agrippine rendait son mari plus timide en voulant le rendre plus hardi, parce qu’elle lui créait des embarras sans lui communiquer la force de les trancher. Enfin Germanicus avait conscience de la haine injuste de son oncle et de son aïeule : son âme douce en était remplie d’anxiété[1]. Ce portrait nous aidera à mieux comprendre la conduite de Germanicus après la mort d’Auguste. C’est le moment où son sort va se décider, et du même coup le sort du peuple romain.

Les légions du Rhin étaient travaillées par un esprit nouveau. Après le désastre de Tarus, il avait fallu remplir les cadres : on avait fait des levées à la hâte, on avait ramassé dans Rome les plus jeunes et les plus vigoureux parmi cette multitude accoutumée à la paresse. C’étaient d’assez bons soldats, mais que la discipline n’avait pas réussi à dompter complètement. Ces récentes recrues, dès qu’elles apprirent la mort d’Auguste, excitaient les vieux soldats à la révolte. Le contre-coup de l’opinion publique de Rome se faisait sentir dans l’armée. A Rome, on désirait Germanicus pour empereur; sur le Rhin, on prit les armes et on voulut proclamer Germanicus.

Germanicus était une âme honnête que révoltait l’idée d’une trahison, quoiqu’il fût difficile d’appliquer ce mot à des revendications légitimes contre un usurpateur qui se targuait du choix d’un autre usurpateur. Tibère avait donné le mot d’ordre aux légions; Livie s’était emparée des affaires à Nola; ils régnaient par la force et non par le droit : or l’on ne trahit qu’un gouvernement régulier, légal, institué par le consentement de la nation. Mais Germanicus était lié par une étroite parenté, par l’adoption de Tibère, par sa propre conscience. La seule pensée de se déclarer l’ennemi de son oncle le faisait frémir. Aussi les soldats, en le proclamant, le poussent-ils au désespoir. Quand il les entend lui décerner le titre d’imperator, il se précipite du tribunal où il siège et prend la fuite. On le ramène, on veut le forcer à y remonter en l’acclamant; c’est alors qu’il tire son épée et déclare qu’il préfère la mort au déshonneur. La foule est cruelle quelquefois, ou plutôt elle est scepticpie. Les recrues arrivées fraîchement de la capitale n’étaient point touchées par ces sortes de démonstrations, et l’on cite un certain Calusidius qui présenta tranquillement à Germanicus son épée en lui disant : « Elle coupe mieux. » Il est certain que Germanicus ne se tua point. Il eut recours à un subterfuge, on pourrait dire à un mensonge. D’ac-

  1. « Anxius occultis in se patrui aviæque odlis, quorum causæ acriores quia iniquæ. »