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nière dont ils sentirent le beau. Sous Louis XIV, à mesure que le pays se soumet et s’abaisse, le goût en matière d’art s’épaissit, s’alourdit ; on sent qu’il porte la livrée du pouvoir absolu. Lesueur, Poussin, au milieu de ce temps, sont des voyageurs égarés ; ils marchent contre le courant, au rebours de la foule, cherchant le simple quand le faste triomphe. Sous saint Louis au contraire, c’est le courant qui porte au simple, au grand, au noble, au délicat, au faire exquis et distingué ; c’est en suivant la foule, en lui obéissant, qu’on est fécond et créateur. Affranchi de ses liens hiératiques, l’art respire, prend une libre allure, un essor tout nouveau, et s’épanouit avec audace, non sans règles, mais sans servilité. Que ne pouvons-nous ici faire apparaître les merveilles de cet art du XIIIe siècle, ou tout au moins en faire comprendre la profonde originalité et l’honneur qui en rejaillit sur la France, son premier, son principal berceau ! Pour mettre à leur rang véritable nos artistes français de ce temps, c’est en regard de l’Italie qu’il faut les voir et les juger. Pendant qu’au-delà des monts rien de neuf n’apparaît encore, pendant que sur ce sol où germeront un jour tant de chefs-d’œuvre et où nous-mêmes nous ne prendrons que trop d’exemples, l’art se réveille à peine, timide et encore enfant, imitant avec hésitation les antiques modèles qui l’entourent, chez nous il a déjà pris fièrement son parti, il est alerte, dégagé, svelte, brillant, diaphane, n’imite rien, n’emprunte rien, se suffit à lui-même. Qu’importe si la forme qu’il adopte ne lui permettra pas de survivre longtemps aux mœurs qui l’ont vu naître et dont il est la trop fidèle image ? qu’importe s’il y a chez lui certains germes cachés de complications et de raffinemens qui hâteront sa fin ? Il n’en a pas moins eu son âge d’or, son heure de gloire, son siècle de grandeur ; ses œuvres nous l’attestent ; tout n’en est pas perdu ; nous en pouvons non sans orgueil contempler encore aujourd’hui d’éblouissans vestiges.

La Sainte-Chapelle du Palais, l’œuvre favorite du saint roi, la création par excellence de cet art intelligent et inspiré, la Sainte-Chapelle existe encore, privée d’air, de jour et d’espace, emprisonnée dans d’odieuses constructions qui 1 étouffent, mais enfin saine et sauve ; elle est debout, grâce au secours qu’elle reçut, il y a trente ans, de cette restauration d’abord si prompte, si vivement conduite, puis presque interrompue, et continuée péniblement comme toute entreprise utile née à certaine époque, et dont le temps présent n’a pas seul tout l’honneur ! La voilà pourtant qui s’achève : l’édifice, affermi sur sa base, assuré contre l’injure du temps, rendu à sa splendeur première, restera, et, nous l’espérons, pour une nouvelle série de siècles, l’honneur, la vraie parure de notre vieux Paris et la consolation de ceux qui, comme nous, ont