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teur a rempli au-delà de toute espérance la tâche ingrate qu’il s’était proposée, et ce n’est pas le seul succès dont il y ait à lui tenir compte. Du moment que M. de Wailly se regardait, non sans raison, comme obligé de placer son essai en regard du texte de Joinville, il fallait que ce texte devînt pour lui l’objet de la plus sérieuse étude, et qu’il en donnât l’édition la plus complète, la plus irréprochable qui eût encore vu le jour. Sa modestie n’a pas à en souffrir : il ne fait pas la guerre à ses prédécesseurs; par cela seul qu’il est venu plus tard, de précieux documens que ceux-ci avaient ignorés lui imposaient le devoir de mieux faire.

Il y a réussi. Dire comment et pourquoi, ce n’est point ici le lieu. Sans imposer à nos lecteurs des détails trop arides et sans nous écarter nous-même de notre but, nous ne saurions donner sur le côté technique du travail de M. de Wailly les éclaircissemens qu’il mérite. Nous devons pourtant dire, car ce n’est pas un aride détail, quand il s’agit d’un monument qu’on affectionne, que de savoir d’où il nous vient, nous devons dire quelles découvertes ont été faites depuis 1761 et comment aujourd’hui on peut juger presque à coup sûr si nous possédons bien le texte original de Joinville. D’abord, indépendamment du manuscrit publié par Capperonier et conservé à la Bibliothèque impériale[1], il en existe un autre plus récent d’environ deux siècles, que Sainte-Palaye a découvert en Italie, dans la ville de Lucques, et que pour cette raison on désigne sous le nom de manuscrit de Lucques. Ce second manuscrit, comme le premier, appartient à la Bibliothèque impériale[2] ; puis maintenant on en connaît un troisième entre les mains d’un particulier (M. Brissart-Binet, de Reims), copie de même époque à peu près que celle de Lucques, c’est-à-dire du XVIe siècle seulement, moins précieuse peut-être en ce sens que d’illustres armoiries, les armes de la maison de Guise, ne la décorent pas, qu’elle est moins riche, moins ornée de miniatures, et à certains égards d’une moins bonne conservation; mais le très rare mérite de ce troisième manuscrit est de combler la plupart des lacunes qui déparent les deux autres, et notamment de nous donner jusqu’à trente-six pages omises dans le manuscrit de Lucques. C’était donc pour M. de Wailly un avantage assuré sur ses prédécesseurs que d’avoir à sa disposition ce document dont, il y a peu d’années, on ne soupçonnait pas même l’existence; mais indépendamment de cette heureuse chance, ce qui lui appartient en propre, ce qui n’est pas seulement du bonheur, c’est le choix de ses leçons, c’est-à-dire les raisons qui le déterminent à obéir à l’un plutôt qu’à l’autre de ces trois manuscrits

  1. Sous le n° 2010. (Supplément.)
  2. Sous le n° 206. (Supplément.)