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sicien, M. Victor Regnault, avait accrédité cette opinion défavorable aux machines à vapeur. M. Regnault s’appuyait sur les grands travaux qu’il venait d’achever au sujet des chaleurs latentes de vaporisation de l’eau à différentes températures, travaux de grande portée qui avaient élevé au plus haut point sa réputation d’habileté et de persévérance. Sa critique se présentait sous une forme dont nous pourrons donner une idée en prenant quelques exemples. Supposons une machine marchant à cinq atmosphères et dépourvue de condenseur, comme la plupart des machines à haute pression. Dans une pareille machine, la vapeur se forme à 152 degrés de température, et chaque kilogramme de vapeur, l’eau d’alimentation étant à 10 degrés par exemple, absorbe, pour se produire, 643 calories. Quand ce même kilogramme de vapeur, après avoir travaillé sur le piston, sort du tuyau de la machine et se répand dans l’atmosphère, il est à 100 degrés, et, pour revenir à l’état d’eau à 10 degrés, il dégage 627 calories. Sur les 643 calories qu’a fournies le foyer, il n’y en a donc que 16 qui puissent être, pendant leur passage à travers la machine, converties en travail. Le reste est forcément perdu, dissipé dans l’atmosphère. Voilà une machine qui, dans les conditions les plus favorables, ne peut utiliser que la quarantième partie de la chaleur que la vapeur reçoit de la chaudière. Est-ce au manque de condenseur qu’il faut attribuer ce fâcheux état de choses? Voyons une machine munie d’un condenseur. Ce condenseur aura, par exemple, une température de 40 degrés, et notre kilogramme de vapeur, en supposant qu’il puisse se détendre autant que possible, viendra y verser 579 calories. Il est juste de dire que cette eau du condenseur à 40 degrés sert à alimenter la chaudière, et qu’ainsi le kilogramme de vapeur demande pour se former non plus 643 calories, comme tout à l’heure, mais seulement 613. Sur ce nombre, il y en a, comme on voit, 34 qui peuvent se convertir en travail. C’est la dix-huitième partie de la quantité totale. Le condenseur augmente donc ce qu’on appelle d’ordinaire le coefficient économique de la machine, mais en le laissant toujours fort petit.

Tel est le raisonnement par lequel M. Victor Regnault et avec lui beaucoup d’ingénieurs déprécièrent la machine à vapeur. Il fallut cependant reconnaître que la pratique ne confirmait pas entièrement cette manière de voir. Des expériences précises mirent ce raisonnement en défaut. M. Hirn notamment, dans les essais dont nous avons déjà parlé, montra que des machines pouvaient dépenser utilement un dixième, un huitième et jusqu’à un sixième de la chaleur qu’elles recevaient. Les expériences de M. Hirn étaient tout à fait dignes de foi. Il les faisait sur des machines industrielles dont la construction était loin sans doute d’être parfaite, et qui cependant