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souvent parlé de la conquête de l’Inde par les armes ; il vaut la peine de considérer un peu la conquête par les idées. Bien que les progrès soient lents et qu’ils datent d’une époque récente, ils sont assez sensibles déjà pour fixer l’attention.

Miss Mary Carpenter s’est fait un nom en Angleterre en se dévouant aux questions d’éducation et de réforme pénitentiaire. Administrateurs et législateurs ont souvent tenu compte de ses avis en ces matières, où elle a acquis une expérience incontestable. Dans les derniers mois de 1866, elle entreprenait un voyage dans les trois présidences de l’Inde en vue d’examiner si la population hindoue est mûre pour les institutions philanthropiques de la métropole. Le récit de cette longue excursion est plein de révélations curieuses sur l’état de la société indigène, sur ses besoins et ses tendances. On y voit avec satisfaction que les natifs de l’Inde se rapprochent davantage de jour en jour de leurs conquérans. Essayons de présenter en résumé le tableau de cette civilisation progressive.

Rien que dans l’Hindoustan, la population n’est pas moins variée que dans l’Europe entière. D’abord il y a une confusion de langues incroyable. Pour ne citer que les principaux idiomes, on parle le guzerathi et le marathi dans la présidence de Bombay, le tamil, le telugu et le canarese dans celle de Madras, le bengali dans celle de Calcutta. L’hindoustani est un peu répandu partout, il est vrai : c’est le langage des serviteurs indigènes ; mais l’hindoustani est une sorte de patois vulgaire qui n’a pas de littérature. L’anglais, mieux approprié à la diffusion des idées et des progrès matériels de la civilisation, tend à devenir la langue commune de cet immense empire. Si la masse du peuple n’en sait pas encore un mot, du moins les classes aisées l’apprennent. On l’enseigne dans les écoles, et les petits Hindous montrent une aptitude merveilleuse à la parler. Non moins que les langues, les religions diffèrent, et non-seulement elles diffèrent, mais encore elles sont hostiles. On peut affirmer que les idées religieuses, qui sont intimement associées à tous les actes de la vie, sont l’obstacle le plus sérieux à la fusion des diverses races qui se partagent le sol.

Quelles sont donc ces races ? Au premier rang, non comme nombre, mais comme développement social, il convient de mettre les Parsis ou adorateurs de Zoroastre. Ce sont les descendans d’anciens réfugiés persans que le hasard des guerres avait expulsés de leur pays. Leurs livres saints sont écrits en zend, une langue morte que les prêtres eux-mêmes comprennent rarement. Après avoir été opprimés durant des siècles par les gouvernemens indigènes, ils ont repris courage sous la domination anglaise ; quelques-uns ont acquis de grosses fortunes et en ont fait un usage généreux. Des institutions de bienfaisance, surtout de vastes hôpitaux, ont été créés par eux. On compte 100,000 Parsis aux environs de Bombay. Ils éclipsent les Hindous par leur intelligence et leur activité