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le corps législatif vient de mettre en ses mains en approuvant toutes les lois sur les chemins de fer, sur les chemins vicinaux, qui lui ont été présentées avec un empressement si visible et une simultanéité si étrange ; mais, s’il le voulait, il le pourrait, et c’est là-justement ce qui constitue le caractère politique de ces mesures, c’est ce qui leur donne ce faux air d’un commencement de campagne électorale.

Le progrès matériel n’est point certes à dédaigner dans le développement d’une société, et il est tout simple que les gouvernemens s’occupent avec un redoublement d’activité d’assurer à toutes les forces productives un essor légitime ; mais après tout, si précieux, si utile, si envié qu’il soit, il ne peut faire oublier à un pays les grandes conditions de sa vie publique à l’intérieur et à l’extérieur. Le progrès matériel, il est partout, il se déroule avec une sorte de méthodique et irrésistible puissance, et cependant d’où vient ce malaise qui travaille les peuples, qui semble rendre possibles toutes les combinaisons, tous les conflits ? La vérité est que l’Europe, nous le disions, vit au jour le jour, jouissant de sa fortune du moment, peu rassurée sur ce qui arrivera dans six mois, faisant ce qu’elle peut pour s’asseoir dans une situation dont elle sent la fragilité et l’incertitude. Elle aspirerait tout naturellement à la paix, et elle croit beaucoup à la guerre. Elle accumule dans ses arsenaux toute sorte d’engins de destruction, et de temps à autre elle tranquillise sa conscience par quelque acte ou par quelque déclaration humanitaire, en proscrivant par exemple dans les armées l’usage des balles explosibles. Cette proposition, émanée de la Russie, a été immédiatement acceptée par la France et par l’Italie, et elle sera sans doute admise avec le même empressement par les autres puissances. Nous voudrions bien y voir un progrès rassurant pour l’humanité ; par malheur, ce n’est là en dernière analyse qu’un de ces actes d’ostentation qui ne résolvent rien, qui laissent l’Europe dans ses indécisions, toutes les armées debout, toutes les questions pendantes, en y comprenant les questions qui naissent de la politique même de la puissance qui a proposé philanthropiquement la proscription des balles explosibles. Tous les commentaires dont l’excursion du prince Napoléon a été l’objet, et qui dépassent sans doute de beaucoup la réalité, ces commentaires n’ont pas d’autre raison d’être que cet état troublé de l’Europe, et la Russie n’a point été la dernière à se demander si ce voyage ne cachait pas réellement quelque grande combinaison politique. Les journaux de Moscou et de Pétersbourg se sont aussitôt déchaînés contre la prétendue mission que le prince Napoléon serait allé remplir à Vienne. C’est qu’en effet la Russie se sentirait singulièrement menacée par une alliance de là France et de l’Autriche. La politique autrichienne, depuis qu’elle s’est faite libérale, lui suscite déjà de sérieux embarras ; elle paralyse par le fait toute la politique russe en Pologne, Qu’on remarque cette situation : la Russie, on le sait, a eu ré-