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accusés au nombre (lesquels étaient Mmes Lepelletier de Rosambo, de Chateaubriand, de Foucault, de Rochechouart, de Grammont et Mme veuve du Chatelet. Fouquier-Tinville ne vint point à l’audience ; il s’était troublé et avait balbutié devant les girondins. Depuis lors, dans les affaires où il avait à redouter les accusés, il cédait sa place à un substitut. On avait appelé plusieurs témoins à charge. De leur nombre était un nommé Parmentier, qui déclara ne connaître aucun des accusés. Ce n’était pas là ce qu’attendait de lui le tribunal. Sur les réquisitions verbales du substitut de service, le témoin est mis séance tenante en jugement. Le sort des accusés fut promptement décidé. A onze heures du matin était rendu l’arrêt qui les condamnait tous à la peine de mort en même temps que le témoin Parmentier ; à cinq heures du soir, leur sang se confondait sur la place publique.

Ainsi que les hommes qui partageaient ses convictions, Thouret a été l’objet d’accusations contradictoires. A propos du veto absolu, il souleva contre lui la partie violente de l’assemblée, qui le dit vendu à la cour. Quand il parla contre les biens ecclésiastiques, le clergé et la noblesse décrièrent qu’il sollicitait les bonnes grâces du parti républicain. Il était cependant en parfait accord avec lui-même, avec ceux qui, comme lui, voulaient l’abolition de l’ancien régime, mais qui en même temps, sans détester la république, étaient convaincus que sous la pression des masses elle conduirait à l’anarchie et ramènerait le despotisme, ce cruel châtiment des nations troublées. Pour ces hommes, une monarchie libérale, réglée par une bonne et loyale constitution, était le rêve où s’arrêtaient leurs aspirations. Avec Barnave, ils voyaient dans la royauté le point fixe du système dont toutes les autres pièces devaient être sans cesse en mouvement, et ils s’étaient mis à agencer cette monarchie constitutionnelle qui résumait en définitive les vœux du pays. Thouret fut l’un des plus ardens apôtres de cette forme de gouvernement au sein du comité, et il la défendit avec talent et résolution à la tribune. Lorsqu’il marchait déjà vers l’échafaud, il se tourna vers d’Eprémesnil, qui se trouvait à côté de lui dans la charrette : « Nous allons, lui dit-il, laisser un grave problème à résoudre. — Quel problème ? — Savoir à qui, de vous ou de moi, s’adresseront les huées de la populace. — A l’un et à l’autre, » reprit d’Eprémesnil avec insouciance. — Le mot était juste ; en eux, ce sont en effet les partisans de la monarchie, bien qu’ils le fussent à des degrés très divers, que le comité de salut public avait entendu frapper.

Quant à cette phalange de juristes à laquelle appartenait Thouret et dont il fut la plus éminente personnification, il serait difficile de