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eu le courage de vous demander de venir dans cette belle petite vallée. Je voudrais bien obtenir de vous et de Julie la journée de mardi. — Je pars incessamment pour les eaux, et je voudrais emporter le souvenir d’une journée de vous. J. R.

« De la vallée, 5 juin (1819). »


Et encore :


« Voici, cher Camille, l’ouvrage que vous désirez. Je me flatte que vos impressions seront d’accord avec les miennes. — Donnez-moi de vos nouvelles et des nouvelles de Julie. — Quelle douce soirée nous avons passée hier) que vous êtes aimable ! »


Mme Récamier pourtant n’était pas sans souffrir quelquefois du refroidissement inévitable que des lignes politiques de plus en plus divergentes amenaient par degrés dans cette tendre intimité de Camille Jordan et de Matthieu de Montmorency. La situation était plus forte que les sentimens ; la contradiction des esprits s’étendait et prenait jusque sur les cœurs : la grâce elle-même et son doux génie en personne n’y pouvait rien.

Au contraire de la plupart des hommes, au lieu de se décourager et de s’amollir en avançant dans la vie, Camille, sans cependant s’aigrir et s’irriter, était allé s’affermissant de plus en plus et se trempant d’une énergie nouvelle. Après tout, quand on le considère de près et qu’on l’étudié, on reconnaît qu’il suivit toujours la même ligne de principes, le même ordre d’inspirations, puisées aux mêmes sources morales ; mais il était en progrès. Sous le directoire, au conseil des cinq cents, il avait voulu civiliser, humaniser la révolution et tirer de cette constitution de l’an III la véritable liberté, la véritable égalité et la justice. Le lendemain du vote pour le consulat à vie, il avait essayé de montrer que cette autre constitution de l’an VIII était perfectible, et qu’avec un peu de bonne volonté on pouvait en tirer des institutions, des garanties, tout un ordre de choses qui terminât la révolution en assurant et en limitant ses conquêtes politiques et civiles. Sous la restauration, il essayait de même de demander à la charte tout ce qu’elle contenait, et d’en faire découler les conséquences naturelles ; il s’indignait surtout qu’on la faussât, qu’on la torturât dans un mauvais sens, au gré des passions, au détriment de la monarchie comme du peuple. Dans cette triple carrière et en ces trois grandes conjonctures, Camille Jordan fut fidèle à ses principes et à lui-même ; mais sous la restauration il avait toute sa maturité, son autorité croissait de jour en jour, son éloquence dans un corps usé avait grandi, et le poids