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circonstances. Je vous demande deux lignes sur votre nomination, votre acceptation et vos collègues.

« Je vous adjure de renoncer à la vie privée au nom de tous les devoirs, devant Dieu et devant les hommes.

« P. S. Lady Jersey, qui est chez moi dans ce moment, se rappelle à votre souvenir. »


Enfin le billet suivant, le dernier que nous ayons, fut écrit après le retour à Paris :


« Comment n’êtes-vous pas venu me voir hier, ayant à me parler de votre nomination ? — Je vous attends ce soir jusqu’à dix heures. — Il faut absolument que je parle avec vous. — Vous n’oubliez pas que vous dînez chez moi samedi.

« N. DE STAEL-H.

« Ce mardi. »


Il ne saurait entrer dans mon dessein d’achever la biographie de Camille Jordan. Il faudrait pour cela reprendre dès l’origine, et de 1816 à 1821, l’histoire des sessions parlementaires auxquelles il ne cessa d’être mêlé et où son éloquence reparut et se manifesta avec tant d’éclat : de dignes historiens l’ont fait en marquant dans chaque discussion la part importante qui lui revient. Son rôle pendant ces quatre années peut se diviser en deux temps fort distincts : dans toute la première période, il est avec le ministère ; il appuie le gouvernement, car le gouvernement à cette époque avait à lutter contre un parti et contre une faction. Mais du moment que le gouvernement recule et dévie, qu’il rouvre la porte à ce parti de la réaction, à ce funeste parti de 1815, malheureusement plus vivace en France qu’on ne l’aurait cru, et qu’il lui concède une influence croissante. dans les conseils et dans la proposition des lois, Camille Jordan se retire ; il reprend sa place à la tête de l’opposition, et d’une opposition qui, pour être dynastique et royaliste, n’en est pas moins énergique et vive. Il marche dans une parfaite union, dans un concert unanime avec Royer-Collard. Il ne craint pas de mécontenter en haut lieu et d’encourir la disgrâce. Sa parole est ardente, et comme aux jours de fructidor, quand une accusation injuste, quand une mesure illégitime vient froisser sa conscience, quand un appel à l’iniquité s’élève, quand la constitution, la charte, lui paraît en péril, il est des premiers à protester avec émotion : il s’enflamme, et son éloquence a cela de particulier entre toutes, qu’elle exhale le cri des entrailles. Sa santé affaiblie, une affection organique incurable dont il se sentait miné lentement et qu’il supportait avec douceur et presque avec sourire,