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entamées à Saint-Pétersbourg. Là encore le hasard le servit à souhait. Peu de jours après, il recevait en effet une lettre du duc de licence, disant « qu’il s’était trompé lorsque quatre mois auparavant il avait annoncé que l’état de santé de la jeune grande-duchesse ne laissait rien à désirer. Mieux informé, il était obligé d’avertir aujourd’hui que les espérances un moment entrevues ne s’étaient pas réalisées, il venait d’en acquérir la certitude. » Sur cette nouvelle, toute hésitation cessa de la part de l’empereur : son parti était pris, il ne songea plus qu’à son nouveau projet ; mais, tandis qu’au fond il était si parfaitement décidé, il ne déplaisait pas à Napoléon de paraître encore flottant, de prolonger encore un peu en face de l’Europe, vis-à-vis de ses plus intimes conseillers comme aux yeux de la foule entière de ses sujets, cette flatteuse situation d’un monarque dont l’alliance était avidement recherchée par toutes les cours et qui prenait le temps de calculer froidement de quel côté il lui conviendrait le mieux de laisser tomber l’honneur de ses préférences. L’orgueil avait la plus grande part dans ces apparentes hésitations. L’empereur, suivant une heureuse expression de M. de Cambacérès, avait à cette époque de sa vie « l’air de se promener dans sa gloire, » et c’était moins pour les consulter sérieusement que pour avoir le plaisir de les entretenir du sujet dont il était plein qu’avec les hommes qui possédaient sa confiance il mettait continuellement sur le tapis cette grande affaire de son mariage. Les avis donnés étaient fort divers, car, nul ne sachant au juste où se fixerait le choix de ce maître d’ailleurs si peu habitué à se laisser guider par les avis de qui que ce fût, la plupart cherchaient surtout à deviner sa pensée, afin de le pousser du côté où son goût l’entraînait. Cependant il lui arriva de rencontrer aussi des conseils tout à fait désintéressés auxquels il ne s’attendait guère. Un jour qu’il travaillait avec M. Daru, Napoléon interrompit tout à coup une dictée commencée pour lui demander brusquement ce qu’il pensait des alliances matrimoniales qui lui étaient offertes. Il ne s’agissait pas d’une marque de confiance à donner à ce consciencieux et zélé serviteur qui pourtant en était si digne. M. Daru n’était pas encore ministre à cette époque ; il ne savait du mariage projeté que ce qu’en connaissait le public. Il était en même temps trop sagace pour ne pas sentir que Napoléon, tout en ayant l’air de solliciter un conseil, avait déjà arrêté son parti ; il prit le sien, qui fut de rendre compte de son opinion sans détour. A la première question : convenait-il mieux d’épouser la Russe ou l’Autrichienne ? il répondit : « Ni l’une ni l’autre, — Diable ! vous êtes bien difficile ! » et le front de l’empereur se rembrunit, car il pensait que M. Daru allait désapprouver le projet d’un second mariage. M. Daru reprit : « La France