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de se croire en possession du secret de l’avenir, et qui, d’un air de complaisance, s’était empressée de révéler à ses interlocuteurs moins favorisés à quelle puissance étrangère était réservé l’honneur de donner prochainement une nouvelle souveraine à la France. De proche en proche, l’indiscrétion avait si bien fait son chemin qu’avant la fin de la soirée toute la cour ou à peu près avait été mise dans la confidence, et n’ignorait plus que les négociations entamées à Saint-Pétersbourg par M. de Caulaincourt étaient présentement assez avancées pour que déjà le tsar eût à peu près promis de donner à l’empereur Napoléon sa propre sœur, la grande-duchesse Olga. Ce fut précisément pendant que la foule des invités s’écoulait doucement des salons impériaux pour regagner ses voitures et tandis que Joséphine, retirée dans ses appartemens, faisait ses derniers préparatifs pour se rendre la nuit même à la Malmaison, que s’engagea sur les marches de l’escalier des Tuileries la conversation qui allait ouvrir de nouvelles perspectives à l’ambition de l’empereur et changer complètement en bien peu de temps la face des choses. Au nombre des courtisans bien instruits qui venaient de colporter le bruit du mariage russe, se trouvait un personnage de beaucoup d’esprit et du plus délié, déjà fort connu et non dépourvu d’importance, qui jouissait à ce point de la confiance du duc de Bassano, que celui-ci avait plus d’une fois pressé l’empereur d’en faire son préfet de police ; nous voulons parler de M. de Sémonville. Causer tout haut et sans aucune espèce de gêne des choses qui faisaient tout bas le sujet des réflexions réservées de chacun était l’un des goûts et l’une des aptitudes de M. de Sémonville. Le hasard fit qu’il se rencontra côte à côte avec M. Floret, premier secrétaire de l’ambassade d’Autriche, au moment où tous deux descendaient de l’étage supérieur du palais pour aller attendre leurs voitures dans le vestibule. « Eh bien ! voilà qui est fini, dit M. de Sémonville au diplomate autrichien, et c’est maintenant une affaire faite ! Pourquoi n’avez-vous pas voulu la faire ? — Qui vous dit que nous ne l’ayons pas voulu ? — On le croit… Serait-ce une erreur ? — Peut-être. — Quoi ! on serait disposé ?… Vous peut-être ; mais l’ambassadeur ? — Je réponds du prince de Schwarzenberg. — Mais le prince de Metternich ? — Point de difficultés. — Mais l’empereur ? — Pas davantage. — Et l’impératrice, qui nous déteste ? — Vous ne la connaissez pas ; elle est ambitieuse, on l’y aurait amenée. » Sur ces paroles, prononcées dans le va-et-vient d’une conversation souvent interrompue par le passage des souverains étrangers et des grands personnages de l’état dont on annonçait à haute voix les équipages, les deux interlocuteurs s’étaient séparés ; mais M. de Sémonville n’était pas homme à laisser tomber à terre de semblables paroles. Quelques minutes après les avoir recueillies, il était dans le cabinet de son