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la force de porter l’impératrice jusque dans ses appartemens, qui communiquaient avec les siens par un petit escalier dérobé. M. de Bausset prit l’impératrice dans ses bras, et l’empereur, marchant le premier à reculons, lui soutenait soigneusement les pieds ; ils descendirent ainsi l’escalier. Rien n’avait paru feint ni arrangé à M. de Bausset dans la triste scène dont il était l’involontaire témoin ; cependant, ses jambes s’étant un moment embarrassées dans son épée tandis qu’il descendait cet escalier étroit, comme il se raidissait afin de ne pas laisser tomber son précieux fardeau, la surprise de M. de Bausset fut assez grande d’entendre Joséphine lui dire tout bas : « Prenez garde, monsieur, vous me serrez trop fort[1]. » Quelques momens après, l’impératrice était remise aux soins de sa fille, la reine de Hollande, et Napoléon resta encore auprès d’elle le temps nécessaire pour s’assurer que cette crise nerveuse se passerait sans danger. Après le retentissement qu’avait eu dans l’intérieur des Tuileries la nouvelle de l’indisposition subite de l’impératrice, tout marcha assez rapidement. Plutôt résignée que consentante, cédant aux conseils de ses deux enfans, le prince Eugène et la reine Hortense, en partie soulagée par l’intérêt sérieux et tendre que lui témoignait l’empereur, Joséphine ne se refusa plus à se prêter aux démarches que les circonstances exigeaient d’elle. Son consentement était en effet indispensable aussi bien pour la rupture du contrat civil que pour l’annulation du lien religieux qui avaient uni son sort à celui du chef de l’empire.

La cassation du mariage civil ne pouvait rencontrer de grandes difficultés, quoiqu’elle fût positivement contraire aux dispositions les plus formelles du décret du 30 mars 1806, qui avait réglé les conditions d’existence des princes de la dynastie napoléonienne. « Le divorce est interdit, disait l’article 7, aux membres de la maison impériale de tout sexe et de tout âge[2] ; » mais cette interdiction imposée aux personnes de sa famille, l’empereur n’entendait pas apparemment se l’appliquer à lui-même. La raison d’état, hautement invoquée, devait suffire à tout justifier. Elle résultait, suivant lui, de la nécessité où il se trouvait de se procurer des héritiers directs, qu’il n’espérait plus de l’impératrice Joséphine, et qui pouvaient seuls assurer la sécurité et le bonheur de l’empire. Il est curieux de lire dans le Moniteur toutes les tournures de phrases dont était enveloppée l’annonce d’une détermination qu’on assurait être parfaitement volontaire de la part de la malheureuse femme qui avait été si évidemment forcée de la subir. Sa douleur éclata surtout à l’assemblée de famille qui se tint aux Tuileries dans la soirée du 15

  1. Mémoires du chevalier de Bausset.
  2. Voyez le décret du 30 mars 1806.