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légèrement les deux amis étaient de nature à déterminer en cette occasion les préférences du chef de l’état. M. Bigot de Préameneu, de mœurs graves et gallican de principes comme M. Portalis, avait plus que lui gardé contre les doctrines et les pratiques traditionnelles du saint-siège quelque chose des profondes méfiances et de la sourde hostilité qui, sous l’ancien régime, constituaient le véritable esprit de corps des parlemens français, particulièrement ceux des barreaux de Paris et de la Bretagne. Dans sa présente tendance à s’armer de toutes pièces contre les agressions spirituelles du pape et les théories ultramontaines, dans sa disposition actuelle à punir suivant toute la rigueur des lois civiles les moindres velléités de résistance du clergé, Napoléon était assuré de trouver chez son nouveau ministre des cultes, outre la déférence qui n’a jamais fait défaut à aucun des fonctionnaires de l’empire, cette ardeur empressée qui résulte de la ferme persuasion qu’on s’acquitte d’une tâche pénible peut-être, mais juste et nécessaire. Hâtons-nous d’ajouter que la douceur de M. Bigot de Préameneu et l’aménité de ses formes ne laissaient rien à désirer. Personne n’avait moins que lui de goût pour les mesures de persécution ou seulement de contrainte. S’il détestait les maximes de ses adversaires ultramontains, il était sans animosité contre leurs personnes, autant qu’il dépendait de lui, il les protégea toujours, sans en rien dire, contre les violentes colères du chef de l’état. Obligé par sa position d’exécuter ponctuellement les sévérités parfois impitoyables de Napoléon, il s’appliqua le plus souvent à les tempérer, au moins en secret ; plus d’une fois il y réussit, et les pièces nombreuses qui nous ont passé sous les yeux témoignent de la façon la plus honorable pour sa mémoire à quel point, lorsqu’éclatèrent les orages de 1809 et de 1811, les cardinaux italiens et les évêques français, objet du courroux de l’empereur, durent s’estimer heureux de rencontrer pour intermédiaire auprès d’un maître si redoutable un ministre à coup sûr très soumis à ses volontés, mais qui, sans lui désobéir et sans trop se compromettre, fort de la confiance qu’il était sûr d’inspirer, savait au besoin prendre sur lui d’adoucir quelque peu les mesures auxquelles il n’était pas toujours en son pouvoir de s’opposer.

Les convictions foncièrement gallicanes qui étaient de vieille date celles de M. Bigot de Préameneu, sa tendance naturelle à entrer dans les vues de l’empereur avec le secret désir de les mitiger un peu, nous semblent se révéler, telles que nous avons essayé de les indiquer, dans le mémoire substantiel qu’en réponse aux lettres venues d’Allemagne le nouveau ministre des cultes s’empressa d’adresser à l’empereur le 3 juillet 1809, c’est-à-dire juste trois jours avant que ne fût livrée la décisive bataille de Wagram. Après avoir assuré à Napoléon qu’il avait, suivant ses