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le vide absolu autour du saint-père, mais cela n’avait pas été possible. A moins de l’entourer d’une force armée considérable, comment avec quelques gendarmes tenir à distance des masses entières ? Ce qui rentrait dans les fonctions du duc d’Otrante, ce à quoi il s’était appliqué avec un zèle extraordinaire et un succès complet, c’était d’empêcher Pie VII de recevoir la visite d’aucune personne considérable, particulièrement celle des ecclésiastiques, qui auraient pu écouter, ses doléances avec sympathie et entrer avec lui dans des communications contraires aux desseins de l’empereur. La première mesure prise par Fouché avait été de retenir près de lui à Paris M. Fourier, préfet de l’Isère, sous prétexte, disait-il, de lui épargner une situation désagréable. M. Fourier était un savant distingué qui avait accompagné Napoléon dans la campagne d’Égypte ; novice pendant deux ans à l’abbaye de Saint-Benoît, il s’était d’abord destiné à l’état ecclésiastique et passait pour homme de bonne compagnie. Fouché préférait confier l’exécution de ses ordres rigoureux au fonctionnaire subalterne qui le remplaçait provisoirement à Grenoble. Il avait donc chargé le conseiller de préfecture Girard de surveiller attentivement les démarches du saint-père ; il lui avait recommandé de ne laisser arriver près de lui ni l’évêque de Grenoble, ni aucun membre important du clergé. Il lui avait surtout prescrit d’intercepter et de garder toutes les lettres qui seraient adressées à sa sainteté. Obéissant scrupuleusement à ses instructions M. Girard ne permit même pas aux grands-vicaires envoyés de Lyon par le cardinal Fesch de saluer en son nom Pie VII et de lui remettre de la part de son éminence quelque argent qu’ils avaient apporté sur eux, procédé dont l’oncle de l’empereur s’était montré très offensé, et dont il se plaignit assez vivement au ministre des cultes[1].

Cependant l’attention du ministre de la police était surtout portée du côté des journaux. A aucun prix, il ne fallait que les papiers publics, qui relevaient de son département, prononçassent seulement le nom de Pie VII. Il leur était interdit de savoir, s’il était en Italie ou en France ou ailleurs ; cela ne les regardait à aucun degré. Depuis que le pape avait quitté Rome, il n’était plus arrivé à Paris aucune nouvelle quelconque de cette capitale du monde catholique. Dans le Moniteur, qui naguère parlait continuellement des états

  1. « Le conseiller de préfecture, M. Girard, s’est obstiné de défendre à mon grand-vicaire tout accès auprès du pape. En vain cet ecclésiastique a présenté la lettre originale par laquelle votre excellence m’assurait que sa sainteté était libre de recevoir qui il lui plaisait. Mgr de Grenoble lui-même n’a pas été plus heureux ; il n’a pas pu voir le pape, ni obtenir qu’on lui remit les lettres de leurs éminences les cardinaux Caprara et Maury… Il est désolant que les agens du gouvernement tel que ce conseiller de préfecture en agissent avec le pape d’une manière aussi dure… » (Lettre du cardinal Fesch à M. le comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 7 août 1809.)