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traversés par le cortège pontifical, il faut reconnaître que de Grenoble à Savone le voyage du saint-père ne fut qu’une longue suite d’ovations. De tous les divers témoignages que nous avons soigneusement consultés, il résulte que, sauf dans de rares localités où grâce à de minutieuses précautions son passage fut habilement dissimulé, la vue du pontife prisonnier ébranla, toutes les âmes, et que l’imagination populaire se montra particulièrement frappée par le spectacle d’une si touchante infortune.

Mais hâtons-nous aussi de reconnaître et notons comme un signe caractéristique des temps dont nous nous occupons que cette émotion, très vive et très sincère dans les contrées traversées par le saint-père, ne s’étendit guère au-delà. Dans le reste de la France, à Paris même, on ne sut rien ou l’on sut peu de chose des scènes que nous venons de reproduire. A peine les gens d’église avaient-ils osé s’interroger les uns les autres et se demander entre eux dans leurs sacristies ce qu’on avait fait du chef de la catholicité. Le gros du public ne s’en inquiétait qu’assez médiocrement ; son attention était pour le moment tournée d’un autre côté. Depuis l’ouverture de la dernière campagne contre l’Autriche, les esprits avaient suivi avec anxiété les combats qui avaient précédé la grande bataille de Wagram ; on commençait maintenant à s’étonner, quoiqu’à tort, du peu de parti que l’empereur avait tiré de sa victoire. A demi rassuré par l’armistice signé à Znaïm, le public attendait avec une impatience fiévreuse l’annonce très désirée d’une paix qu’il savait bien devoir être glorieuse, et qu’il aurait tant souhaité de pouvoir considérer comme définitive. Cette forte diversion imprimée aux préoccupations de la France par les événemens d’Allemagne n’était pas la seule cause de l’indifférence où notre pays était tombé au sujet du pape et des affaires de Rome. Il faut ajouter que depuis assez longtemps il n’en entendait plus du tout parler. Habitué à supprimer les nouvelles qu’il jugeait défavorables à sa cause, ne s’étant d’ailleurs arrêté encore à aucun parti définitif sur ce qu’il ferait du pape, fidèle à son constant système de ne point laisser les journaux toucher de près ou de loin aux questions religieuses, l’empereur avait, de Schœnbrunn, expressément recommandé à tous ses agens de garder et d’imposer le silence le plus absolu sur l’enlèvement de Pie VII à Rome, sur sa venue en France et sur sa translation à Savone. De tous les ordres qu’il pouvait recevoir de ce maître exigeant, si difficile à contenter, qui dans ce moment même se plaignait qu’on se fût en cette délicate occurrence mépris sur ses véritables intentions, la prescription du secret était celle que son ministre de la police, déjà un peu ébranlé dans son crédit personnel, était le plus porté à faire exécuter en toute rigueur. Fouché s’y employa de son mieux. Il avait bien souhaité de faire