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temps même de Henri VIII, tous ceux qui avaient voulu devancer d’un jour le progrès logique de la réformation n’avaient-ils point encouru les rigueurs implacables de la colère du roi ? On comprend donc que les réfugiés protestans fussent en général les bienvenus chez un peuple qui avait à plusieurs reprises et tout récemment, sous le règne de la sanguinaire Marie, essuyé les poursuites de l’arbitraire et du fanatisme. Ces exilés demandaient d’ailleurs si peu de chose en échange des dons qu’ils apportaient. Que leur fallait-il ? Un coin de terre où ils pussent exercer en paix leur industrie. Quelques-uns créèrent même le sol qui devait les recevoir, eux et leurs familles. Ces derniers étaient naturellement originaires des Pays-Bas, où l’homme dispute à l’océan sa demeure et son chantier de travail. Une colonie de Flamands, sous la conduite d’un chef nommé Cornélius Vermuyden, se mit en devoir de reconquérir, dans le comté de Lincoln, des terrains depuis longtemps inondés par de fortes rivières telles que le Don et le Trent. Plus de deux cents familles émigrées s’établirent sur l’île d’Axholm, qu’elles avaient, pour ainsi dire, tirée du sein des eaux. Les travaux de dessèchement se poursuivirent, et une grande étendue de marécages se convertit en une des terres les plus riches et les plus fertiles que possèdent aujourd’hui les Anglais. Un autre groupe de réfugiés, appartenant à la classe des marins, se fixa vers 1568 dans la ville d’Yarmouth, et s’y livra aux travaux de la pêche. Avant eux, le poisson qui visitait les côtes de l’Angleterre était surtout recueilli par les filets hollandais, emporté en Hollande pour y être salé et fumé, il revenait ensuite sur le marché britannique. Peu de temps après l’arrivée des pêcheurs flamands, l’état des choses n’était plus le même ; le succès de leurs barques et de leurs engins avait été si considérable, que la ville d’Yarmouth approvisionnait de marée presque tout l’intérieur du royaume. Ils introduisirent aussi l’art de faire le sel et de curer le hareng. D’autres villes de la Grande-Bretagne suivirent bientôt l’exemple d’Yarmouth, et les Pays-Bas se trouvèrent peu à peu battus sur toute la ligne des pêcheries par leurs propres armes. Le hareng anglais fait aujourd’hui dans les divers marchés de l’Europe une concurrence formidable au hareng hollandais. Est-ce une raison pour oublier ce que l’Angleterre doit à la Néerlande ? Ayant la mer, elle éprouvait surtout au XVIe siècle le besoin d’attirer chez elle les industries qui savent exploiter ce champ des richesses naturelles.

Parmi les exilés dont la Grande-Bretagne mit à contribution les services et les talens, ceux qui nous intéressent le plus sont naturellement les Français. M. Smiles se garde bien de les oublier, et c’est à eux qu’il consacre ses meilleures pages. Les premières colonies de huguenots wallons et français arrivèrent en Angleterre