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voulant arracher l’ivraie, on avait ravagé le bon grain. Des cités autrefois florissantes avaient été frappées au cœur. Gand porte encore aujourd’hui la trace des blessures que reçut son ancienne prospérité. En 1585, après le sac d’Anvers, un tiers des marchands et des fabricans de soieries, damas et autres étoffes avaient dit adieu à cette ville ruinée. Bruges ne s’est jamais relevée de sa décadence. J’ai vu en 1854 ses rues désertes, ses vieilles et curieuses maisons tombant pierre à pierre, ses belles églises, dont quelques-unes réveillent des souvenirs sinistres, ses monumens, qui portent le deuil d’une splendeur éteinte, sa tristesse, sa misère, sa solitude. Encore un tiers de la population vit-il sous la loi de l’aumône. Les femmes, la taille enveloppée dans une mante espagnole et la tête à demi recouverte d’un chaperon rouge, ne sont plus que les ombres de ces riches Flamandes dont on vantait autrefois le caractère laborieux et les vertus domestiques. Grâce à Philippe II, Bruges est une ville orthodoxe, oisive et mendiante. Ce roi avait-il été plus heureux dans ses autres projets d’ambition religieuse ? Ses flottes s’étaient évanouies sur les mers ; l’héroïque et industrieuse Hollande avait échappé pour jamais aux mains sanglantes de l’Espagne ; l’inquisition triomphait, mais l’état des finances était désastreux, et le royaume sur lequel ne se couchait jamais le soleil touchait à la banqueroute. En voulant imposer aux autres un régime de compression et d’intolérance, l’une des plus grandes nations de l’Europe avait scellé chez elle la pierre de son tombeau. Qu’on regarde maintenant de l’autre côté du détroit.

Elisabeth, en montant sur le trône, avait trouvé un état appauvri et divisé, dont la moitié résistait à son autorité royale. L’Angleterre n’avait ni industrie ni armée, et sa marine était encore dans l’enfance. Tout changea de face en quelques années. La production et la circulation des objets de luxe ou de nécessité fournirent le moyen de remplir les caisses du trésor public. Les fabricans de drap venus d’Anvers ou de Bruges et bien d’autres corps d’état apportèrent des forces nouvelles à l’organisation du travail dans le pays qui leur offrait un asile. L’une des colonies flamandes s’établit à Sandwich ; cette ville se mourait, il la relevèrent. La rivière Stour, qui était primitivement l’artère de son commerce, ayant été envahie par les sables, la navigation se trouvait interrompue, et les habitans étaient tombés dans la misère. A peine les exilés, au nombre de quatre cents, se furent-ils installés dans le pays sous la protection de la reine, que les maisons vides et abandonnées se ranimèrent ; au silence succéda le bruit des métiers à tisser ; toute la ville reprit un air dévie et de prospérité naissante. A Norwich, Yarmouth, Douvres, Winchelsea, d’autres colonies implantèrent d’autres branches d’industrie qu’il serait trop long d’énumérer. Qui croirait que l’art de