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vierge du travail. Les protestans du XVIe siècle avaient d’ailleurs à lutter contre de bien autres obstacles. Ne s’en allait point qui voulait du sol des Pays-Bas : les frontières étaient gardées, surveillées. Si les malheureux fuyaient, leurs biens étaient confisqués ; étaient-ils pris en flagrant délit d’évasion, c’était la mort qui les attendait. Le plus grand nombre d’entre eux se dirigea vers les côtes : la mer est un chemin libre, la grande route des opprimés. Derrière les vagues, qui ne se lassent jamais de porter les infortunes humaines, s’élevait d’ailleurs à deux ou trois journées de distance l’Angleterre, ouverte à tous, mais surtout aux enfans de l’industrie. Ils arrivaient sur des bateaux découverts ou de pauvres navires. On distinguait parmi eux toutes les conditions et toutes les classes de la société, tous les âges de la vie. Hommes, femmes, vieillards, débarquaient souvent au milieu de l’hiver. Durant la traversée, quelques-uns d’entre eux avaient eu beaucoup à souffrir des gros vents et des fureurs de la houle. Une tempête religieuse et politique les avait chassés de leur patrie, une autre tempête les jetait sur un sol ami. Des veuves amenaient avec elles leurs enfans, qu’elles tenaient groupés dans leurs bras, toutes fières de les avoir arrachés à une terre de servitude et au bûcher sur lequel était mort leur père.

La vengeance de Philippe II, et, il faut bien le dire, celle de l’église romaine, les poursuivirent jusqu’au-delà des mers. Le pape Pie V demandait formellement à Elisabeth de chasser de son royaume les réfugiés protestans, et, comme cette reine résistait à de tels conseils, il lança enfin contre elle une bulle d’excommunication. C’étaient, dit un historien anglais, des « foudres éteintes, » puisqu’elles tombaient sur une tête déjà condamnée, la fille hérétique de Henri VIII. Non contente de demander la mort des pécheurs, la cour de Rome les calomniait, chargeant les pauvres exilés d’épithètes très peu chrétiennes, ebriosi et sectarii. Sectaires, passe encore, mais ivrognes ! Un évêque anglais, Jewel, se chargea de les défendre et de répondre au chef de l’autre église. Il représente ces étrangers, qu’il avait tous les moyens de bien connaître, comme des gens sobres et économes, qui donnaient au contraire l’exemple du travail, de l’ordre et de la patience. Usant alors de représailles, le digne évêque réformé reproche au pape de couvrir de sa protection six mille usuriers et vingt mille courtisanes dans sa sainte ville de Rome. Le temps n’était point aux aménités théologiques ; aussi Jewel conclut-il, fort indigné, que « la reine d’Angleterre a bien le droit d’offrir un lieu de refuge aux serviteurs de Dieu, quand le pape donne asile aux serviteurs du diable. » La guerre ne s’arrêta pas aux mots et aux antithèses. S’il faut en croire M. Smiles, le désir de ressaisir les victimes échappées au feu de