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ces bons Flamands se livrèrent à leur métier de fileurs de laine et de fabricans de drap. Comme les habitans du pays de Galles les regardaient d’un œil jaloux s’établir sur leur territoire, ces colons formèrent entre eux une communauté dont les liens, se resserrèrent de jour en jour par suite même de l’animosité qu’ils excitaient. Le district habité par eux fut désormais appelé « la petite Angleterre des Wales. » Un pareil nom ne se trouvait guère approprié à leur origine et pourtant ce nom ils le justifièrent. Plus Anglais que les Anglais eux-mêmes, du moins dans leurs sympathies, ils adoptèrent le langage de ceux qui les protégeaient et refusèrent d’apprendre l’idiome des Celtes. Le dialecte qu’ils parlent encore aujourd’hui est bien l’anglo-saxon, mêlé de quelques racines teutoniques. Ayant ainsi très peu de rapports, avec les indigènes, ils ont perpétué les mœurs de leurs ancêtres, et le style de l’architecture flamande. N’est-il pas toutefois surprenant de retrouver après plus de sept siècles un faible rameau conservant encore la sève de l’arbre dont il s’est détaché ?

Edouard III, surnommé « le père du commerce anglais, » envoya plus tard des agens dans les Pays-Bas pour recruter des ouvriers capables d’enseigner à ses sujets l’art de filer, de teindre et de tisser la laine. S’il faut en croire les historiens de la Grande-Bretagne, la condition de ces artisans était alors fort misérable dans leur contrée. Exténués de travail, nourris de harengs et de fromage moisi, traités moins-comme des hommes que comme des chevaux, ils s’épuisaient à faire la fortune de leurs maîtres. Pourquoi auraient-ils alors résisté aux promesses, et aux avances des émissaires anglais ? Le bœuf et le mouton d’outre-mer étaient pour leur estomac affamé une sorte de mirage qui les attirait vers la terre d’abondance. Le grave Thomas Fuller prétend même qu’un autre charme encore plus puissant agissait sur leur imagination : ils voyaient déjà en rêve les belles filles, des riches fermiers anglais qui ne dédaigneraient point de les prendre pour maris. Quoi qu’il en soit des motifs qui les déterminèrent, plusieurs d’entre eux répondirent volontiers à l’appel d’Edouard III. Une autre circonstance vint servir les vues et les projets de ce souverain. La guerre ayant éclaté entre lui et Philippe de Valois (1336), le roi de France entraîna Louis de Nevers, comte de Flandre, dans une ligue offensive contre l’Angleterre. Edouard se vengea en prohibant l’exportation de la laine, de sorte que les Pays-Bas se trouvèrent à peu près dans la même position que celle du Lancashire durant la guerre civile d’Amérique et la disette du coton. Cette crise industrielle, comme nous dirions aujourd’hui, engagea beaucoup d’ouvriers flamands à passer la mer avec leurs métiers et leurs outils. Ils n’eurent point lieu de s’en repentir, car plusieurs d’entre eux fondèrent de grandes