Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Guillaume Petit, que dom Vaissette désigne comme évêque de l’église française d’Italie. Peut- être cette église est-elle celle de Vérone, où nous avons vu, sur le témoignage de Raineri, cent cinquante parfaits émigrés. Le courant dans cette direction tarit en 1274 par la fusion des deux sectes, qui ne fuient dès lors que par les vallées de la Provence et du Dauphiné vers les sommités des Alpes. À cette époque, tous les appuis que l’esprit sectaire avait trouvés sur la terre de la langue d’oc sont abattus. Plus de seigneurs amis, plus de tolérance, encore moins de protection. La maison de Toulouse n’existe plus, et toute la généreuse famille des comtes de Foix, qui repoussaient l’intervention du pape dans leur croyance, a péri. La petite chevalerie elle-même, les nobles de second et de troisième rang, qui avaient offert à la congrégation l’abri de leurs châteaux, sont morts sur les bûchers, tombés sur le champ de bataille, ou bien fugitifs comme le dernier des sectaires et remplacés dans leurs domaines par des barons de langue d’oil. Ceux qui n’ont pas quitté le pays sont forcés de se mettre au pas de la monarchie et de l’église, de persécuter, de faire la chasse aux hérétiques et de les livrer à l’inquisition. Dans chaque paroisse, il s’est formé une commission composée du curé, d’un familier de l’inquisition et d’un officier royal pour faire la chasse des hommes. Le concile d’Alby, en 1254, fixa une prime de 20 sous tournois pour chaque hérétique saisi, et par un décret du concile de Béziers le seigneur qui aura entravé la chasse sur ses terres sera passible d’une amende de 1,000 marcs d’argent. Traqués partout comme des bêtes fauves et ne trouvant plus de protection nulle part, les malheureux fuient par toutes les issues. Ils se mettent en route par troupes, hommes, femmes, enfans et vieillards, disent les manuscrits de Doat, cachés le jour dans les forêts, les ravins et le lit des torrens, voyageant la nuit par des voies détournées afin de dépister les poursuites. Ceux qui n’étaient pas encore tombés dans la condition de « faydits, » sur qui ne pesait pas encore le soupçon terrible d’hérésie, vendaient secrètement leurs biens pour aider leurs frères à fuir et pour fuir eux-mêmes. L’un des moyens employés pour assurer leur émigration, c’était d’offrir aux limiers de l’inquisition une somme plus forte que la prime accordée par l’église. Aussi avaient-ils soin de se munir de l’argent provenant de la vente de leurs biens ou des- collectes faites parmi leurs coreligionnaires. Quelques-uns de ces fugitifs ayant trouvé un asile dans les églises, le pape Martin IV abolit pour les hérétiques, par un bref du 21 octobre 1281, ce droit d’asile, déclaré inviolable au moyen âge pour les plus grands criminels.

Cet exode, comparable à celui que la France a vu après la