Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/591

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le vide, et, dit Guillaume de Puy-Laurent, « on ne se soucie de leurs sermons pas plus que de pommes cuites. » A l’indifférence on ajoute la moquerie et l’outrage : on leur jette de la boue au visage, on attache des pailles à leur capuchon pendant qu’ils parlent. Sur un ordre venu de Rome, ils quittent la partie avec leur chef, et rentrent en frémissant de colère dans leurs couvens du nord pour attendre le signal de la prédication de la croisade. Il ne reste dans le midi que le légat espagnol Castelnau et son compatriote Dominique, qui poursuit sa mission sans se laisser décourager. Le légat fait un dernier appel au comte de Toulouse pour l’engager à tirer l’épée contre les hérétiques, et sur son refus il l’excommunie, le maudit et déclare en sa présence que ses vassaux et ses sujets sont déliés du serment de fidélité, que ses terres sont dévolues au premier occupant. Ce légat cherchait aussi le martyre ; comme Dominique, il espérait émouvoir la chrétienté par une mort violente, et il y réussit. Un gentilhomme de la suite de Raymond, prenant sur lui l’outrage fait à son seigneur, alla l’attendre au passage du Rhône, se prit de querelle avec lui et le frappa mortellement d’un coup d’épée le 15 janvier 1208.

A la nouvelle du meurtre de Castelnau, Innocent III poussa enfin le cri longtemps contenu de la guerre sainte. « Sus donc ! soldats du Christ, s’écrie-t-il dans sa lettre du 10 mars au roi de France, aux barons et aux peuples de la langue d’oil, exterminez l’impiété par tous les moyens que Dieu vous aura révélés, étendez le bras au loin, combattez d’une main vigoureuse, leur faisant une plus rude guerre qu’aux Sarrasins, car ils sont pires. » Dans sa lettre du 19 octobre, il ouvre devant l’ambition de la monarchie française la perspective de l’annexion du midi de la Loire. La souveraineté du comte Raymond VI est désignée particulièrement comme devant disparaître. « Le roi, dit-il, devra faire peser sur lui le poids de sa royale oppression, le chasser de ses châteaux et de ses villes, en exterminer les habitans et les remplacer par des catholiques. » Les moines cisterciens, qui attendaient le signal de Rome, sortent de leurs retraites, se répandent dans le royaume, en Flandre et sur les bords du Rhin. Ils promettent les mêmes indulgences que pour la croisade contre les Sarrasins, le pardon général des péchés commis et à commettre. Ils ne se contentent pas de faire briller aux yeux de la foi la prime des récompenses célestes : cela n’eût peut-être pas été assez engageant pour lancer le nord sur le midi ; ils offrent des primes plus substantielles, les dépouilles opimes d’une civilisation renommée par ses richesses et sa prospérité. « Le travail ne sera pas long, dit la circulaire du cistercien Gervais de Prémontré aux moines de son ordre, et la récompense sera abondante. » Le midi est présenté comme une riche proie à dévorer, et il est à