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avoir eu un corps ? Il fallait de la part des sectaires ou bien de Fau-dace ou bien de l’illusion pour appuyer ces doctrines sur les Écritures. L’église présentait aussi des côtés faibles, des dogmes qui manquaient de base, et dont les légats auraient dû faire tout d’abord le sacrifice, comme ils venaient de se dépouiller de leurs beaux habits.

C’est avec les cathares dualistes qu’eurent lieu les premières passes d’armes, en 1207, au château de Verfeuil, à Saint-Félix-de-Caraman et à Béziers. Les parfaits qui luttèrent là contre le bataillon orthodoxe ne sont pas séparés de l’église sur quelques points seulement de dogme et de discipline : ils en sont séparés sur tous les points, disant qu’elle n’est pas l’église du Dieu bon, qu’en devenant une puissance politique et terrestre, en faisant servir l’épée à la défense de ses dogmes, elle est tombée sous le pouvoir de Satan. En présence de cet étrange argument tiré de la théologie dualiste, les légats de Rome sont saisis d’indignation. L’un d’eux, l’évêque d’Osma, s’écrie : « Que Dieu vous damne ! vous n’êtes que des hérétiques… » L’homme du pouvoir reparaît sous l’humble missionnaire, et sous ses argumens perce la pointe des hallebardes. Il menace les peuples du midi de la colère de Dieu et des hommes, s’ils ne chassent pas ces hérétiques abominables ; mais les menaces ne font que confirmer ceux-ci dans leur point de vue qu’une religion qui persécute et tue n’est pas le christianisme. Les légats espèrent avoir plus facilement raison de la secte vaudoise, et c’est avec celle-ci qu’ils tinrent la fameuse conférence de Montréal, qui dura quinze jours, selon le témoignage du moine Pierre de Taux-Cernay. Sur les questions de dogme, les vaudois ont été de tout temps catholiques, c’est-à-dire qu’ils ont admis le même symbole. Ils ont même admis jusqu’au XVIe siècle le sacerdoce et la hiérarchie, et ne se sont séparés de l’orthodoxie dominante que par leur manière de considérer le prêtre. Pour eux, il y a un bon et un mauvais prêtre. Celui-ci n’est pas, ne peut pas être le dépositaire des pouvoirs surnaturels que Jésus-Christ a promis à son église ; il ne peut ni absoudre ni consacrer l’hostie, et les sacrements qu’il administre n’ont aucune valeur. C’est la doctrine que soutinrent plus tard Jean Huss et Jérôme de Prague devant le concile de Constance. Ce qui constitue le mauvais prêtre, c’est l’esprit de domination temporelle, l’orgueil de la vie, la participation aux richesses, à la gloire mondaine, et en cela les vaudois aboutissaient au même résultat que les albigeois, tout en partant d’un point de vue différent : pour les deux sectes, une église qui est une puissance temporelle, qui persécute et tue, n’est pas l’église de Dieu. Aujourd’hui on dirait qu’elle est en contradiction avec les idées d’humanité et