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mondain, annulaient les effets de leur prédication sur des esprits qui faisaient consister le christianisme dans le renoncement au monde et dans une vie pauvre et humiliée. « Voyez, disait le peuple, voyez ces cavaliers superbes, ils veulent nous entretenir de leur maître Jésus-Christ, qui pourtant est allé à pied ; ces abbés riches et comblés de dignités nous parlent du Seigneur, qui a été humble et pauvre ! » L’église a rencontré dans tous les temps cette fin de non-recevoir tirée de l’opposition de la morale qu’elle enseigne avec la morale qu’elle pratique, du renoncement aux biens de ce monde et au pouvoir avec ses richesses et son esprit de domination. Il fallait renoncer à ces dehors pompeux pour ressaisir les esprits, car c’était la pompe même et la puissance politique de l’église qui les avaient rejetés dans l’hérésie. C’est ce que comprit un homme dont le nom réveille plus de souvenirs sanglans que celui d’Attila, Dominique de Gusman, le célèbre fondateur de l’ordre des inquisiteurs de la foi. « Vous n’y entendez rien, dit-il hardiment aux légats, quittez cet appareil mondain, renvoyez ces chevaux et ces serviteurs, et allez par le monde à la façon des hérétiques. » Le conseil parut une révélation du ciel, et on vit les légats, ces proconsuls de la Rome papale, plus puissans et plus orgueilleux que ceux de la Rome antique, dépouiller tout à coup les insignes de la puissance, renvoyer au-delà des monts leurs équipages et leurs serviteurs, parcourir le midi vêtus pauvrement, sans or ni argent, se soumettant volontairement aux disputes théologiques, aux contradictions, aux déboires, aux outrages d’une mission en pays ennemi. A ce spectacle étrange, les sectaires, qui n’avaient pas répondu aux premiers appels, où ils soupçonnaient un piège, accourent maintenant, acceptent la lutte avec des adversaires ainsi transformés. On règle les conditions du combat comme pour un tournoi : le colloque sera libre, les arbitres seront choisis dans les deux partis, les sujets de la discussion, arrêtés d’un commun accord, ne seront abandonnés qu’après épuisement de la matière ; enfin l’autorité de la Bible sera seule invoquée des deux parts comme juge de la controverse. Les légats acceptent tout, même cette dernière condition, la plus dangereuse pour eux, car ce qui faisait la force des sectes, c’était précisément leur habileté à manier les textes de l’Écriture sainte. Elle n’était pas moins dangereuse pour le catharisme albigeois, du moins pour ceux d’entre les cathares qui avaient adopté l’idée asiatique des deux principes éternels, car la Bible, aussi bien que la saine philosophie, se dérobe à cette doctrine. Comment soutenir en face des textes et de la raison le dogme dualiste ? Comment faire passer dans une discussion publique ce dogme non moins étrange d’un Christ fantastique qui naît, vit et meurt sans