Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fabuleux Orient. Ce morceau, où reparaît bien tout entier l’auteur du Dieu et la Bayadère, n’est pas harmonisé. La science du maître s’y révèle à peine par un contre-sujet très délicat. Il est donc vrai de dire que la phrase n’emprunte rien de son effet à l’orchestre, mais il convient d’ajouter que le charme personnel de l’actrice est bien aussi pour quelque chose dans le succès. Avec la musique de M. Auber, il faut d’abord qu’on soit jolie, on chante ensuite quand on peut, mais par surcroît. J’imagine qu’avant de confier un rôle à sa virtuose il la regarde, puis l’écoute. Cette fois, grâce à Mlle Marie Roze, le charme est complet, et le public y cède avec rage. Un mot de M. Capoul. Ce rôle et lui se conviennent à ravir. Impossible de dire d’une voix plus émue le galant madrigal du premier acte, de mieux rendre en chacune de ses nuances si délicates l’expression de la romance qui suit. Sa voix de tête, en terminant, émerveille. Dans la strette du grand finale, si chaleureuse, il a le dramatique accent d’un ténor d’opéra ; mais ce n’est et ne doit être qu’un éclair, car cette voix, très capable de porter, est aussi très fragile, et, dès qu’elle force un peu, s’éraille, perd le souffle. Une jolie voix est comme un diamant : une fois qu’un diamant est dégagé de sa gangue par le travail, qui voudrait, l’encroûtant de nouveau, en obscurcir, en supprimer l’éclat ? C’est pourtant ce que fait un compositeur lorsqu’il vient avec son orchestre couvrir, étouffer cette voix si précieusement policée, et par tant d’exercices, d’efforts, mise en possession définitive du secret des résonnances. A l’Opéra, M. Capoul eût infailliblement succombé, et cependant comment n’y pas regretter l’absence d’un talent de ce genre ? On a tant abusé de la voix de poitrine depuis Duprez, on s’en est tant servi pour chanter faux, que cela devient un vrai régal d’entendre un timbre léger, flexible et sachant varier ses registres.

Toute voix forte n’est pas nécessairement énergique, comme souvent une voix peut être énergique sans être forte. M. Capoul a donc bien fait de se tenir à l’Opéra-Comique, et même en ce climat tempéré la prudence lui conseille de ne point trop prétendre, de chanter, comme on dit, dans sa voix. J’entends par là ne pas dépasser les limites de sa voix non point comme étendue, mais comme sonorité, ce qui est bien différent. C’est justement cette capacité de résonnance que M. Faure ne néglige jamais de consulter, chose très notable en ce temps où les chanteurs qui sortent de leur voix sont aussi communs que les locomotives qui déraillent. M. Capoul est un Elleviou ; quel plus beau compliment lui pourrais-je adresser ? M. Auber l’a, par ce rôle, tiré de l’ombre et mis à la mode ; le voilà pour trente ans au moins engagé dans l’état-major des gardes françaises. Chose très amusante à l’Opéra-Comique, cet effet immédiat, électrique, d’un élégant costume élégamment porté. Lors de la dernière reprise du Déserteur à ce théâtre, M. Mocker et sa belle mine de galant troupier de la permission de dix heures firent plus pour le succès