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étrangères à leur défaut de valeur musicale. Je ne dirai donc point que M. Auber n’a jamais été mieux inspiré, attendu qu’avec lui la muse n’a pas de ces caprices. Jean-Paul avait inventé un procédé pour fabriquer à volonté du naïf dans l’art. Il en faisait à son gré, à son heure. M. Auber doit avoir quelque secret de ce genre, nul mieux que lui ne se possède, n’organise l’inspiration ; c’est l’homme du tact, du savoir-faire, et pourquoi ne pas le dire, puisque le mot a son acception dans les choses de l’imagination comme dans les choses du monde ? c’est par excellence l’homme du comme il faut. Depuis que je l’entends, que je le goûte, je ne l’ai jamais trouvé au-dessous de lui-même, et quand il lui arrive de ne pas réussir, la faute en doit revenir non à sa musique, toujours également ingénieuse et piquante, mais à la nullité de la pièce, que sais-je ? à l’inadvertance du public, préoccupé, distrait ailleurs, cherchant du nouveau lorsqu’il n’y en a plus, liant commerce avec des bateleurs qui l’abrutissent ou avec des charlatans qui le bernent. Du Philtre au Domino noir, et de l’Ambassadrice, des Diamans de la Couronne à la Circassienne, à la Fiancée du Roi de Garbe, à Jenny Bell, au Premier jour de bonheur, M. Auber n’a point varié. Son motif, son orchestre, ont gardé leur allure. Il n’a rien appris des tendances nouvelles, rien oublié de cet enjouement, de ce naturel qui fait son génie ; sa poétique d’il y a quarante ans est encore celle d’aujourd’hui : la musique est un art créé pour amuser, distraire son monde, l’intéresser sans effort ni contention d’esprit. Une phrase mélodique lestement tournée, une harmonie soignée, mais uniforme et, sans jamais changer de fond, se contentant de renouveler ses arabesques, voilà cet art fort simple, trop connu, qui chez tout autre semblerait démodé, et que M. Auber a le merveilleux don d’éterniser pour nos plaisirs.

Si quelque chose pouvait trahir le vieillard dans cette partition dernière, c’est la sobriété de ton poussée à l’extrême, l’effacement du coloris. Cela chuchote, susurre ; excepté dans quelques morceaux d’ensemble, aucun éclat de force ; les violons concertent en sourdine, le hautbois soupire, s’exhale, les chanteurs modulent dans la pénombre du sotto voce, on entendrait voler un oiseau de nuit : c’est une musique de velours pailleté, le règne du pianissimo ; très souvent le quatuor seul accompagne, comme dans ce nocturne du troisième acte, une des plus aimables rencontres que M. Auber ait jamais eues en ses bonnes fortunes. Même douceur exquise, même finesse de touche, même pastel dans ces quelques mesures d’orchestre où le hautbois si délicieusement domine, et sur lesquelles se lève le rideau du second acte, le meilleur, selon moi, de la partition. Là se trouve la chanson des djinns, qui déjà fait tant parler, tant courir, et pour cause. Je ne pense pas qu’en musique l’art de plaire puisse aller beaucoup plus loin. C’est de la mélodie pure et simple, la pointe d’ironie parisienne mêlée aux langueurs nostalgiques du