Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il a immolé sa vie à un besoin de croire qui était devenu une passion, et c’est par cette passion qu’il ne cesse de toucher et d’émouvoir profondément. Dans ce demi-jour du XVIIe siècle, il ressemble à un lutteur acharné disputant son âme aux puissances mystérieuses, à un joueur désespéré jouant toujours le tout pour le tout, sans perdre complètement, il est vrai, mais aussi sans gagner, et reprenant sans cesse sa terrible partie. On croit ou on ne croit point, la foi ne vient pas ainsi, et Pascal cède sans le savoir à une secrète inspiration d’ironie, quand il propose de la chercher dans l’abêtissement. Il ne voit pas que cet abêtissement, avec tout ce dont il le compose, n’est encore à sa manière qu’un de ces divertissemens où il voit le signe de la faiblesse incurable des hommes, car enfin s’abêtir, c’est s’étourdir, s’abandonner soi-même, c’est se donner libre carrière pour commettre à l’abri de cet abêtissement commode toutes les trahisons, toutes les lâchetés, toutes les infidélités ; mais ce qui vaut mieux, ce qui relève l’âme au lieu de l’abaisser, c’est cette ardeur généreuse et bouillante dans la recherche de la vérité. Et c’est par là surtout que l’auteur des Pensées est redevenu en quelque façon un personnage tout contemporain, fait pour parler à des âmes ébranlées par toutes les révolutions publiques ou intérieures. Pascal est-il janséniste, philosophe, sceptique, chrétien, stoïque ? Je ne sais, ou plutôt je ne le cherche pas. C’est du moins un homme sincère, passionné, qui paie de sa personne dans les luttes de la vie. Ce qu’il pense, ce qu’il sent, il le laisse voir avec une candeur douloureuse. Il fait assister au spectacle d’une âme tragiquement émue. A travers les idées du penseur, on voit involontairement se dessiner cette figure idéale, souffrante, contractée, portant au front le sceau de l’un des plus nobles êtres mortels. Et voilà pourquoi cette image retrouvée, recomposée dans son vrai caractère, dans son éloquente et expressive délicatesse, est toujours chère à ceux qui aiment avant tout la vérité humaine. D’autres construisent des systèmes ingénieux ou grandioses dans les rêves de leur esprit. L’inspiration de Pascal sort de l’âme, et elle va à l’âme par cette force toute-puissante d’une pathétique sincérité,


CHARLES DE MAZA.DE.