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de choses, il en a vu assez pour savoir ce que c’est que la société ; il est allé à Rouen avec son père, envoyé comme intendant de cette généralité, et il a pu même connaître Corneille ; il s’est trouvé aux grands jours d’Auvergne. Il vient d’avoir quelques années de vie mondaine après avoir une première fois dans sa jeunesse approché un moment de l’ascétisme, qui le tentait. Déjà il a vu sa jeune sœur, Jacqueline Pascal, emportée par une vocation violente, entrer à Port-Royal, et lui-même, revenu des plaisirs et des distractions dont il est rassasié sans les avoir épuisés, il se sent attiré vers ce monde religieux qui commence à être persécuté, vers cette doctrine où la rigueur de la foi n’exclut pas une certaine indépendance de l’esprit. Un instant encore, il sera plus janséniste que tous les jansénistes, il sera de Port-Royal plus que tous les messieurs de Port-Royal, plus que M. Singlin ou M. de Sacy, et tout cela il le sera sans cesser d’être lui-même. C’est alors, dans cette recrudescence d’ardeur mystique, dans ce retour à une piété orageuse, qu’éclate son génie, non plus seulement dans les Provinciales, cette satire étincelante et ingénieuse d’une secte puissante, mais dans les Pensées, dans cette œuvre inachevée, humaine, palpitante, où, sous le voile d’une défense nouvelle de la religion, se déroule l’étude la plus pénétrante, la plus douloureuse de toutes les nuances, de tous les désirs et de tous les dégoûts de la race humaine.

Il y a dans cette étude, la plus belle et la plus émouvante qui ait été écrite, des mots étrangement significatifs qui sont comme un aveu de cet impétueux génie. « Rien ne nous plaît que le combat, dit Pascal, mais non pas la victoire. On aime à voir les combats, non le vainqueur acharné sur le vaincu. Que voulait-on voir, sinon la fin de la victoire ? Et dès qu’elle arrive, on en est soûl. Ainsi dans le jeu, ainsi dans la recherche de la vérité. On aime à voir dans les disputes le combat des opinions ; mais de contempler la vérité trouvée, point du tout… De même dans les passions il y a du plaisir à voir deux contraires se heurter ; mais, quand l’une est maîtresse, ce n’est plus que brutalité. Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. » Ailleurs : « Les hommes ne savent pas que ce n’est que la chasse et non la prise qu’ils recherchent… » Ainsi il fait lui-même le plus souvent sans y songer et sans le vouloir. Je sais bien le but où il tend, je n’ignore pas où il veut en venir et quelle victoire il poursuit ; mais chemin faisant le moraliste à l’imagination véhémente et colorée, au coup d’œil subtil et passionné, se retrouve dans l’apologiste de la religion. Ce qu’il aime, c’est cette recherche militante de la vérité, « la chasse et non la prise ; » c’est la lutte corps à corps avec le problème de la destinée humaine ou sociale qu’il fouille, qu’il remue en se peignant