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l’Autriche, à qui veut se mettre en mesure d’en profiter. Encore une fois le débat d’ailleurs se résume tout entier dans cette alternative : ouïe gouvernement anglais favorisera la réorganisation de l’Abyssinie à son profit et au nôtre, ou il s’en écartera précipitamment, comme on quitte un navire qui brûle, et cette contrée ne sera plus qu’une épave sacrifiée, perdue pour l’Europe et la civilisation.


IV

Si l’Angleterre n’est pas tenue à sauver l’Abyssinie, son honneur du moins ne lui permet pas de livrer ce pays par une complicité passive à un ennemi qui le guette depuis trente ans, et qui offre en ce moment à l’invasion un concours fort équivoque ; je veux parler de l’Égypte. Le ministère britannique a officiellement déclaré que l’Égypte n’avait pas offert sa coopération pour la guerre d’Abyssinie. Tout ce qui ressort des paroles de lord Stanley, c’est que le gouvernement du vice-roi n’a pas cru devoir proposer de joindre aux forces anglaises un contingent de troupes égyptiennes. Elles ne contredisent en rien ce que tous les journaux anglais ont annoncé. Ils disaient que le vice-roi avait manifesté l’intention de concourir au transport des troupes de la Mer-Rouge à la frontière d’Abyssinie, et qu’il avait massé plusieurs régimens le long de cette frontière « en vue des prochaines éventualités. » Il est vrai que l’Égypte est depuis plus de dix ans incapable de défendre sa ligne du Barka des incursions abyssines provoquées par les razzias égyptiennes contre des tribus vassales du négus. Est-ce en vue de ces excursions et au moment même où les Abyssins vont se trouver occupés chez eux que le vice-roi entasse dans le plus aride pays du monde cinq ou six fois plus de troupes qu’il n’en peut recevoir en temps normal ? Ce prétexte n’est guère plausible. L’Égypte espérait en réalité que l’Angleterre, rebutée au bout de trois mois par les difficultés et les dépenses de la campagne, serait disposée, pour alléger ses charges, à mieux accueillir l’idée d’une action commune ; le calcul était habile, il a été déjoué par le solide bon sens de nos voisins. Ils ont vite compris que cette assistance avait le double inconvénient d’engager leur politique, de compliquer leurs plans, jusqu’ici fort simples et fort clairs, enfin de les compromettre en Orient. Ils ont, avec une fermeté courtoise, décliné un concours aussi embarrassant. Le public anglais, mal informé, désireux surtout de diminuer les dépenses de l’expédition, eût peut-être été plus favorable que son gouvernement à la coopération égyptienne. Une presse sérieuse et instruite lui a évité de commettre cette faute. Le vice-roi, déçu de ce côté, ne s’est pas