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disparaître. Le comte de Boisgelin, M. de Girac, évêque de Rennes, et M. Borie, sénéchal de cette ville, reçurent la charge de présider ces dernières assises, auxquelles les gentilshommes étaient accourus de tous les points de la province, nombreux et armés comme pour une bataille décisive. Après l’accomplissement des formalités d’usage, le président du tiers annonça en assemblée générale que tous ses collègues avaient reçu de leurs communautés l’injonction formelle de ne prendre part à aucune discussion et de ne concourir à aucun vote avant l’admission par les états de certaines demandes qu’ils avaient charge de leur soumettre. Au premier rang figurait, avec la suppression des immunités financières, la concession au sein de l’assemblée provinciale d’une représentation du tiers égale à celle des deux autres ordres réunis, concession qu’un édit royal venait quelques jours auparavant d’octroyer à la nation pour les prochains états-généraux du royaume. Un pareil changement, si naturel qu’il fût de le souhaiter, impliquait un bouleversement complet des institutions existantes, puisque l’assistance aux états était devenue en Bretagne depuis la ligue le droit personnel de tous les hommes d’extraction noble.

Aussi les deux ordres privilégiés, s’appuyant sur le règlement, répondirent-ils tout d’une voix que le cours habituel des travaux ne pouvait être interrompu par une sommation tout au moins intempestive, ajoutant qu’un vœu exprimé relativement à des modifications organiques ne serait à sa place, si les états jugeaient à propos de l’admettre, que dans le cahier final, dont la rédaction devait suivre les opérations ordinaires et non les précéder. Opposer le texte d’un règlement à une révolution qui frappait à la porte, c’était imiter les enfans qui amoncellent du sable pour arrêter la mer. Dans l’isolement où la jetait le cours des idées et des choses, la noblesse s’enivrait du bruit de ses paroles en présence du tiers déployant de son côté une force d’inertie qui suffisait pour lui assurer la victoire. Une semaine s’écoula en négociations stériles ; le troisième ordre se refusa même à parapher, selon l’usage, le registre des délibérations, ce qui interdisait toute inscription régulière des actes de l’assemblée. En secrète entente avec la bourgeoisie, dont les vœux ne dépassaient sur aucun point le cercle tracé par le programme de M. Necker, le comte de Thiard saisit avec empressement cette occasion pour interrompre les états, dont les bruyantes allures étaient antipathiques à la froide élégance de ses habitudes. Le 7 janvier 1789, il portait à l’assemblée un ordre du roi qui en suspendait les opérations jusqu’au 5 février suivant, afin de mettre messieurs du tiers en mesure de réclamer une modification à leur mandat impératif, si leurs commettans jugeaient à propos de