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encore qu’au sortir du collège il eût tenté de quitter la maison paternelle pour contracter un engagement militaire. Revenu à plus de déférence pour la volonté de ses parens, il commença son droit en 1782. Spirituel et bienveillant, cet étudiant de septième année exerçait sur ses camarades une autorité universellement acceptée, et jouissait en bon vivant de toutes les prérogatives de sa charge, telles que le droit d’occuper une première loge au spectacle et de recevoir la première visite de toute actrice aspirant à débuter. Le futur vainqueur de Hochstedt et de Hohenlinden, ayant fait des efforts superflus pour conquérir le diplôme d’avocat, se jeta dans la lutte politique, où il trouva une carrière plus conforme à sa vocation. L’année si pleine qui nous occupe vit successivement le jeune Moreau dirigeant dans les rues de Rennes les efforts de ses camarades, portant à Louis XVI, comme l’un des délégués du tiers, les protestations de la ville contre les résolutions prises aux états par la noblesse, organisant à Pontivy la fédération bretonne, et quittant son pays à la tête d’une compagnie d’artillerie pour concourir deux ans plus tard à la conquête de la Hollande comme général de division. Les hommes et les choses marchaient alors à pas de géant ; une fortune militaire se faisait en six mois, et encore suffisait-il de moins de temps pour renverser l’œuvre des siècles.

Les quarante-deux communautés représentées aux états avaient, à la fin de décembre 1788, donné à leurs mandataires dans cette assemblée la charge formelle de réclamer préalablement à toute délibération les trois points suivans : suppression de tous les privilèges pécuniaires, représentation pour le tiers égale à celle des deux premiers ordres réunis, et substitution du vote par tête au vote par ordre, jusqu’alors pratiqué, leur enjoignant de plus de ne prendre part à aucune opération tant que cette triple concession n’aurait pas été accordée. Il fallait malheureusement s’attendre, d’après les dispositions bien connues de la grande majorité des gentilshommes, à un refus catégorique, si légitimes que ces réclamations fussent en elles-mêmes. La noblesse s’était engagée par serment, et personne ne l’ignorait, à considérer comme ayant forfait à l’honneur quiconque proposerait, en présence d’injonctions comminatoires, de modifier des institutions dont elle se tenait pour responsable envers la postérité. Consulté par M. Necker sur la représentation du tiers au sein des états-généraux, le parlement de Rennes venait d’ailleurs de repousser, conformément au dernier avis des notables, le principe du doublement, en réclamant l’application du mode suivi en 1614 ; enfin à l’ardente polémique de la démocratie la noblesse répondait par une polémique non moins animée, dont le ton ne laissait aucun doute ni sur sa pensée ni sur