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Ici donc tous les honneurs et tous les biens, là toutes les charges avec tous les dédains, et, comme par grâce, quelques établissemens de charité : tel fut le thème brûlant des conversations quotidiennes dans un pays qui s’éveillait pour la première fois aux émotions de la vie publique.

L’un des soins du nouveau cabinet avait été de demander à tous les Français d’adresser soit au public par la voie de la presse, soit au gouvernement lui-même par des communications particulières, leurs vues sur l’œuvre de ces états-généraux, dont la convocation venait d’être décrétée sans que personne sût rien encore ni de la forme qu’il conviendrait de leur donner, ni de la direction à imprimer à leur zèle effervescent. Cette invitation, succédant aux travaux des assemblées provinciales, avait communiqué à l’esprit public dans toute la France un mouvement que notre égoïste lassitude nous permet à peine de comprendre. Nulle part cependant la fièvre des nouveautés ne fut plus ardente qu’en Bretagne, nulle part la presse locale ne travailla d’une activité plus furieuse et avec un succès plus complet à rattraper le temps perdu en faisant table rase de toutes les choses et de toutes les idées de la veille. On retrouve dans un monceau de brochures, pour la plupart imprimées à Rennes, la trace des colères du temps et de passions que leur sincérité dispensait de justice. Au premier rang, il faut placer le Mémoire pour le tiers-état de Bretagne, ouvrage de M. Gohier, avocat au parlement, qui, après avoir été un moment dans sa province l’émule de Sieyès, en devint plus tard le collègue au directoire exécutif. Cet écrit, dont l’effet fut immense, est un acte d’accusation contre la noblesse bretonne, contre sa prépondérance au sein des états et dans le parlement. A des observations fondées sont superposées des imputations parfaitement fausses, mais alors tenues pour vraies. Les conclusions en sont d’ailleurs plus modérées que les prémisses : elles se réduisent à réclamer, avec le maintien des vieux états de Bretagne, qu’aux premiers mois de 1789 personne encore n’admettait la possibilité de supprimer, l’égale répartition des impôts et un nouveau mode de représentation pour les deux ordres privilégiés. Cet écrit devint l’évangile politique de qui-quiconque n’était pas né gentilhomme. Le clergé et le peuple des campagnes, y adhérèrent avec moins de passion, mais avec autant de fermeté que la bourgeoisie, et la noblesse demeura seule sur le terrain de l’antique constitution, où, malgré son isolement, elle persistait à se croire invincible. Une presse d’une fécondité inépuisable et que l’autorité ne réprimait plus attaquait chaque jour en langue française, et quelquefois en langue bretonne, les deux idoles de la veille, les états et le parlement, mêlant la calomnie aux bonnes