Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que celle d’un refus opposé à la convocation des états-généraux. Réunir des notables choisis par le bon plaisir du souverain, c’était affirmer une fois de plus le droit constamment revendiqué par la royauté de n’avoir à compter qu’avec des pouvoirs consultatifs ; rassembler les états-généraux, c’était au contraire reconnaître le droit de la nation de disposer elle-même de ses propres destinées. Ainsi s’engageait la lutte suprême entre l’ancien régime et le régime nouveau, l’un se prévalant de l’autorité des traditions, l’autre lui opposant l’irrésistible élan de ses espérances.

Dans la création d’une cour plénière revêtue, sous le bon plaisir du roi, des attributions politiques réclamées par les parlemens, étaient venues se condenser toutes les idées de M. de Brienne et de M. de Lamoignon, magistrat transfuge et ministre fantaisiste. Retirer aux cours souveraines l’enregistrement des édits et retarder la convocation des états-généraux, s’il n’était pas possible de l’empêcher, de cette double pensée était issue une combinaison affublée d’un nom ridicule, puisqu’il ne correspondait pas même au souvenir historique qu’on avait prétendu évoquer. Si l’étrange conception de ces deux personnages, plus impertinens qu’audacieux, avait pu exister ailleurs que sur le papier, elle aurait abouti a une simple réunion de grands seigneurs, et de fonctionnaires désignés par la royauté pour contrôler ses actes ; l’immense mouvement d’esprit qui travaillait alors la France aurait eu pour seule conséquence de tenir hors des affaires le peuple, la bourgeoisie, le clergé et la noblesse provinciale, c’est-à-dire la totalité des forces vives de la nation. Aussi ne vit-on jamais résistance plus unanime que celle qui fit avorter cet embryon politique. Plus avisé que Brienne, Lamoignon avait imaginé de donner quelque popularité à sa conception malheureuse en y associant une réforme de la magistrature conçue dans un esprit démocratique ; il compléta le plan de Maupeou en constituant sous le nom de grands bailliages dans tout le royaume, la Bretagne comprise, des tribunaux dont la juridiction était appelée à s’exercer dans des zones territoriales d’une égale étendue.

Ces édits furent envoyés au parlement de Paris, et celui-ci dut les enregistrer au milieu du plus formidable appareil militaire ; mais les difficultés qui se révélèrent dans la capitale n’étaient rien auprès des obstacles que l’œuvre de Brienne et de Lamoignon souleva dans les provinces et plus spécialement en Bretagne. Des ordres secrets enjoignirent au commandant de réunir le parlement de Rennes pour y faire prévaloir par tous les moyens qu’il estimerait nécessaires la volonté souveraine du roi. Ce commandant était alors Henri de Bissy, comte de Thiard, qui venait de succéder au comte