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de confiance dans une force toute prête à leur échapper. D’autres en effet étaient à la veille de recueillir les fruits de ces combats, et commençaient à faire valoir en plein jour des prétentions qui jusqu’alors s’étaient à peine révélées dans l’ombre. Durant la lutte engagée contre M. d’Aiguillon, le tiers avait gardé une attitude fort réservée. Il ne trouvait aucun avantage à seconder contre la cour les efforts de la noblesse, qui possédait dans les états une prépondérance qu’elle entendait bien garder toujours. Quoique pénétrée d’un respect séculaire pour le parlement, la bourgeoisie commençait à se sentir fort humiliée du pacte secret conclu entre les membres de cette grande compagnie pour en défendre l’accès à quiconque ne pourrait justifier de quatre partages nobles tout au moins. Par un déplorable aveuglement, l’ordre privilégié ne s’était jamais montré plus exclusif qu’aux jours où les premiers grondemens de la foudre annonçaient l’approche des grands orages. Tandis que la magistrature fermait ses rangs lorsqu’il aurait fallu les ouvrir, M. de Jarente, chargé de la feuille des bénéfices, épurait l’épiscopat au seul point de vue généalogique, et, pour mettre le sceau à ces réformes insensées, M. de Saint-Germain promulguait une ordonnance dont l’application littérale aurait interdit à plusieurs petits-fils des ministres de Louis XIV l’honneur de porter l’épaulette. Sous l’empire de ces idées, entretenues par un contact devenu plus fréquent avec l’aristocratie de la cour et de l’armée, la noblesse bretonne, longtemps populaire, avait adopté un langage dont elle exagérait l’impertinente fatuité, ainsi qu’il arrive presque toujours en parlant une langue étrangère. Plus d’une fois des mots malheureux prononcés en pleins états servirent de stimulant aux passions dont on n’avait pas soupçonné l’éveil, et qui déjà guettaient leur proie. La seule concession faite par les gentilshommes de bonne race avec un empressement significatif, c’était celle des lettres d’anoblissement, parce que ces lettres, n’ouvrant l’accès ni des états ni d’aucune carrière privilégiée, maintenaient, durant un siècle au moins, les chefs de la bourgeoisie dans une attitude fausse entre l’ordre dont ils étaient sortis et celui dans lequel on consentait à les admettre au prix d’un stage humiliant.

À cette race de métis sociaux appartenaient, au moment où nous sommes parvenus, la plupart des magistrats municipaux et des députés du tiers. Lors donc qu’au mot de liberté, qui ne touchait qu’aux intérêts généraux, fut substitué celui d’égalité, qui atteignait chacun dans sa fibre la plus sensible, quand sur le sol armoricain retentit cette parole qu’aucune oreille n’y avait encore entendue, qu’aucune imagination n’y avait pressentie, la terre fut remuée jusqu’aux abîmes. Ce fut surtout dans les rangs des hommes qui