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riages successifs ramènent peu à peu les formes organiques, soit à l’une soit à l’autre des formes primitives ; les caractères, un moment confondus, se dissocient ; les élémens discordans se repoussent. Dans l’état présent de la science, on ne peut citer aucune forme hybride qui soit devenue permanente, typique, qui ait pris droit de cité dans la nature.

J’aurai épuisé toutes les raisons qu’on peut invoquer en faveur de la constance des types organiques, si je rappelle que depuis le commencement des temps historiques ils n’ont subi aucune modification. Pour s’en assurer, on peut examiner les musées et les collections les plus anciennes, les herbiers de la fin du XVIe siècle conservés à Upsal et à Bâle, la description de la flore alpine faite par Jean Ray en 1652, les coquilles, les châtaignes, les olives, les noix enfouies en 79 dans les cendres d’Herculanum et de Pompéï, les descriptions anatomiques d’Aristote, de Galien, les graines et les ossemens des tombeaux égyptiens, les figures d’animaux et d’oiseaux gravées sur les monumens de la vallée du Nil. Trente siècles n’ont rien changé aux traits du bœuf, du chien, du chat, du singe, de l’ichneumon, du crocodile, de l’ibis, du vautour, du faucon, de l’oie, de l’abeille, du scarabée, du lotos, du papyrus, du froment. Il est vrai que, si les espèces n’ont pas varié depuis trente siècles en Égypte, les conditions de la vie sont restées les mêmes : l’équilibre organique y est demeuré aussi immuable que le régime du Nil. Le monde animal et végétal n’a pas été atteint par les invasions humaines qui s’y sont succédé comme les inondations du fleuve. Il n’est point difficile de trouver des exemples bien plus frappans de la longue durée des espèces, si l’on veut s’enfoncer dans la nuit des temps géologiques. Un savant botaniste de Zurich, M. Heer, a interrogé les débris de certains lignites dont l’origine remonte bien au-delà des temps historiques ; il y a retrouvé toutes les formes alpestres et boréales vivantes de nos jours. Remontons plus haut encore ; tous les géologues savent que parmi les coquilles du terrain tertiaire[1] il y a, en proportion de plus en plus nombreuse à mesure qu’on se rapproche de l’époque moderne, des espèces identiques aux nôtres. Nous sommes forcés de considérer la période historique comme un moment dans l’histoire de notre planète : dès que nous sortons des ères dont l’humanité a compté les années, la mesure du temps devient chose arbitraire.

  1. Les terrains géologiques les plus récens et immédiatement antérieurs aux temps que les géologues nomment les temps modernes, mais qu’il faut bien se garder de confondre avec les temps historiques, se nomment, les terrains tertiaires. Ils sont subdivisés en trois grandes formations auxquelles on a donné les noms de formation éocène, miocène et pliocène