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plutôt qu’elles n’acceptent cet inconvénient, que moins de facilité de la part des chefs de corps et des ministères ferait disparaître immédiatement.

Arago, dans la discussion de 1838, semble douter de l’utilité stratégique des voies ferrées ; de récens exemples ont donné un démenti à cette prévision, qui prouve une fois de plus combien l’établissement des chemins de fer français avait laissé d’hésitation dans les esprits les meilleurs et les plus perspicaces. Ce qui s’est passé en France même pendant la campagne de 1859 démontre quels secours puissans les rail-ways apportent à la guerre. Le chemin de Paris à Lyon et la Méditerranée a transporté dans l’espace de quatre-vingt-six jours 185,000 hommes, 33,000 chevaux, 4,500 voitures d’artillerie et de train, 40 convois de matériel et de munitions ; la moyenne des wagons mis quotidiennement à la disposition de l’armée était de 518 ; le nombre des trains a été de 2,636, dont 302 spéciaux, et ils ont circulé en moyenne avec une vitesse de 27 kilomètres 1/2 par heure ; pas Un accident n’est venu entraver la marche des convois, dont le nombre était cependant de 30,6 par jour, ce qui donne 1,28 à l’heure. Dans cette circonstance, les chemins de fer ont été les auxiliaires de la victoire, mais bien plus encore l’ont-ils été dans la campagne d’Allemagne en 1866. C’est l’emploi intelligent qu’on a su en faire qui, joint à l’excellent et homogène esprit de l’armée prussienne, a, bien mieux que le fusil à aiguille, remporté les foudroyantes victoires de Bohême. Aussi la Prusse se l’est tenu pour dit. Prévoyante et réfléchie, elle a délégué des officiers auprès des principales gares de chemins de fer afin de surprendre, sur le fait même toutes les parties de l’exploitation, et de pouvoir par ce moyen tendre plus tard d’importans services à une armée prête à entrer en campagne. Cet exemple est bon, il mérite d’être médité et suivi. La victoire est dans le courage des soldats, mais elle est aussi dans leurs jambes : le mot est de Napoléon Ier. Un train faisant dix lieues à l’heure remplace très avantageusement toutes les marches forcées imaginables ; il s’agit donc, pour les gouvernemens qui se préoccupent de réformes militaires, de comprendre que les voies ferrées font aujourd’hui partie du matériel de la guerre, et ce n’est pas un engin de destruction, c’est un moyen de rapidité pour l’acheminement des masses. On doit en étudier le mécanisme avec un soin tout particulier, et les officiers d’état-major devraient à ce sujet se faire une éducation complète. La chose est grave et vaut que l’on y pense. Le matériel de toutes les compagnies françaises réuni sur une seule ligne peut au besoin, et si les circonstances l’exigeaient impérieusement, jeter en vingt-quatre heures 300,000 hommes sur une frontière. À ce point de vue encore, les chemins de fer sont un bienfait pour la civilisation.