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plus on devait établir deux lignes supplémentaires : l’une aurait relié Marseille à Bordeaux par Toulouse, l’autre aurait rejoint Marseille et Bâle par Lyon et Besançon. Le projet était libéral et vraiment grandiose. Le 24 avril, Arago lut son rapport, qui se ressent singulièrement des indécisions du moment : il combat l’établissement simultané de toutes les lignes, disant avec raison qu’il faut, par des constructions successives, profiter de toutes les améliorations, qu’il est plus facile de prévoir que d’indiquer, et apprendre par l’exemple des fautes commises à éviter les fautes à commettre. Tant d’intérêts locaux étaient en jeu, tant de compétitions se faisaient jour, tant d’appétits mauvais étaient éveillés, que la chambre des députés n’osa prendre un parti, et que l’ensemble de la loi fut rejeté le 10 mai par 196 voix contre 69. On retomba dans le système des concessions partielles, on accorda des têtes de lignes plutôt que des lignes entières ; on ne savait vraiment que faire au milieu de tous les tiraillemens des rivalités diverses, on semblait ne pouvoir se résoudre ni à l’action ni à l’inaction, et, comme toujours en pareil cas, les demi-mesures que l’on adoptait ne satisfaisaient personne.

Une loi du 7 juillet 1838, une autre du 15 juillet 1840, avaient accordé la concession de Paris à Orléans et de Paris à Rouen ; mais cela ne suffisait guère aux justes exigences qui se manifestaient avec d’autant plus d’intensité qu’elles se heurtaient sans cesse à une résistance passive. Le gouvernement se décida enfin à reprendre l’application des idées que la chambre avait repoussées en 1838, et le 7 février 1842 un nouveau projet de loi fut présenté par M. Teste. M. Dufaure, nommé rapporteur, qualifia sévèrement dans la séance du 16 avril l’état languissant où la Fiance se traînait en matière de chemins de fer, et « l’œuvre incomplète et incohérente commencée dans les dernières années. » Le réseau était décidé en principe ; mais, pour l’exécuter, on se trouvait en présence de deux systèmes qui avaient chacun de bons et de mauvais côtés. L’un, s’inspirant de l’exemple de l’Angleterre, voulait confier à l’industrie privée le soin de construire toutes les lignes projetées ; l’autre, à l’imitation de la Belgique, voulait le réserver exclusivement à l’état. Pendant quinze jours, on parla pour et contre, on mêla dans d’égales proportions les deux systèmes en présence, et le 12 mai la loi fut votée à la majorité de 225 voix contre 83. Cette loi, promulguée le 11 juin 1842, est pour ainsi dire le code des chemins de fer français, elle fixe dans quelle mesure l’état et les compagnies concourent aux charges et aux bénéfices de la construction et de l’exploitation. On se mit à l’œuvre sans plus de retard ; mais ce qui domina d’abord, ce fut un agiotage effréné. Vingt compagnies pour une s’étaient