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l’artillerie et du génie des services inappréciables. En même temps le capitaine Poncelet commençait un cours professionnel, public et gratuit, dans lequel il initiait les ouvriers messins aux notions de mécanique susceptibles d’une application immédiate aux arts et métiers. La récente introduction de méthodes industrielles nouvelles venues d’Angleterre rendait un enseignement de cette nature très désirable et même très urgent. Les cours de géométrie et de mécanique appliquées aux arts, que différens officiers se chargèrent alors d’ouvrir dans les principales villes, et auxquels le cours du capitaine Poncelet servit de modèle, n’ont pas peu contribué à changer la face de l’industrie française, en faisant comprendre aux ouvriers la supériorité du raisonnement sur l’emploi aveugle de la force et des procédés traditionnels de la routine. La matière de ces cours a été publiée par M. Poncelet dans un ouvrage fort estimé et remarquable surtout par l’élégance et la simplicité des démonstrations[1].

Dès 1831, Arago avait invité M. Poncelet, au nom des principaux géomètres de l’Académie des Sciences, à se porter candidat pour une place alors vacante dans le sein de la section de géométrie ; mais le modeste officier du génie avait refusé. Ce n’est qu’en 1834, époque à laquelle la mort de sa mère brisa les derniers liens qui rattachaient à la ville de Metz, qu’il consentit à se présenter comme candidat au fauteuil laissé vacant par le décès de M. Hachette. Il fut élu à la presque unanimité des suffrages, et pendant un tiers de siècle il ne cessa de prendre une part active aux travaux de la section de mécanique. En même temps il fut définitivement adjoint au comité des fortifications, où il fut, jusqu’en 1848, chargé des rapports scientifiques et de la rédaction du Mémorial de l’officier du génie. C’est dans ce recueil qu’il a publié ses importantes recherches sur la stabilité des voûtes, des revêtemens et des fondations. En 1838, on créa pour lui la chaire de mécanique physique et expérimentale à la faculté des sciences de Paris. Ce cours, complément naturel de l’étude de la mécanique rationnelle, dont il matérialise en quelque sorte les conclusions, tout en les limitant par l’étude des faits dans les bornes du possible, a exercé une grande influence sur l’enseignement de la mécanique en France. M. Poncelet s’efforça constamment de combler l’abîme qui sépare la mécanique théorique des géomètres de la mécanique des ateliers, bien moins simple et moins riche en illusions. Les praticiens arrivent trop facilement à une sorte d’éloignement et de mépris pour les abstractions de la théorie, parce qu’ils apportent dans leurs travaux les idées incomplètes et fausses sur l’équilibre absolu et sur le mouvement idéal qu’ils ont puisées dans un enseignement resté rudimentaire, tandis qu’une instruction solide, qui tient compte à chaque

  1. Introduction à la Mécanique industrielle, par J.-V. Poncelet (1829 et 1839). Les éditions postérieures sont intitulées Traité de Mécanique industrielle.