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ont eu aussi d’amusantes. Une des dernières, aussi peu respectueuse que possible, représente l’Europe sous la figure d’une vieille femme ayant les yeux bandés et se livrant à une danse périlleuse au milieu de toute sorte d’œufs qui s’appellent la question d’Orient, la question du Slesvig, la question du Rhin. Prussiens, Français, Autrichiens, la regardent en se disant : « Voyons si la vieille va finir sans faire l’omelette. » Sous une forme plaisante, c’est l’histoire d’hier, d’il y a trois mois, d’il y a un an. — Non, sans doute, on n’en est pas à cette extrémité d’un conflit menaçant pour demain, et, si ingénieusement qu’on groupe des symptômes qu’il est toujours facile d’interpréter dans tous les sens, ce n’est pas encore ce printemps que se réaliseront les pronostics belliqueux. La paix pour le moment ne semble nullement menacée. Lorsqu’il y a trois ans on a laissé l’infortuné Danemark tomber seul dans une lutte inégale, sans appui, sans secours, victime d’un démembrement inique, il n’est pas assurément probable qu’on soit disposé à faire la guerre pour la rétrocession de quelques districts du nord du Slesvig, pour le règlement d’une frontière ou pour quelques garanties plus ou moins vaines, et au fond ni la France ni l’Autriche ne paraissent avoir songé à intervenir même diplomatiquement dans cette affaire La Prusse, sans se départir de son ton rogue avec le Danemark et sans renoncer à ses ambitions sur l’Allemagne tout entière, en est plutôt aujourd’hui à se recueillir dans la dure et difficile digestion de tout ce qu’elle a dévoré, M. de Bismarck n’est peut-être pas encore assez certain d’avoir mis suffisamment « l’Allemagne en selle » pour brusquer les choses et aller jusqu’au bout. La Russie, de son côté, est trop envahie par la famine pour presser les événemens en Orient, pour n’avoir pas dû ralentir l’ardeur du général Ignatief, qui revient à son poste d’ambassadeur à Constantinople. L’Autriche est tout absorbée dans sa réorganisation intérieure, et elle n’est pas préparée, elle est trop peu remise de ses désastres. L’Italie n’est pas près de renouveler ses tentatives sur Rome. La France elle-même paraît plus préoccupée de vivre bien avec tout le monde que de provoquer qui que ce soit. Il n’y a pas pour le moment, que nous sachions, de question de Luxembourg dans l’air ; quoiqu’il puisse y en avoir quand on voudra sans chercher beaucoup. La paix semble donc à l’abri pour ce printemps ; elle est dans les apparences, dans les rapports diplomatiques et même, si l’on veut, dans les intentions des gouvernemens ; seulement on n’y croit pas, on ne peut pas arriver à y croire, et c’est la justement le mal ; c’est le triste fruit de cette énervante ambiguïté dont nous parlions ; c’est la dangereuse conséquence d’une situation fausse où la force et la ruse ont laissé la défiance comme un redoutable : levain.

La France notamment, il ne faut pas se le dissimuler, est livrée, depuis quelques années, à d’intimes et étranges contradictions. Elle est