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locomotive était suffisant pour maintenir l’adhérence sur les rails, il. était loin d’être assez considérable pour la rendre stationnaire. Ainsi qu’on le voit, on avançait lentement, pas à pas, à travers mille tentatives dont chacune constituait un progrès, mais n’apportait aux engins de traction ni sécurité ni vitesse.

La France peut réclamer à bon droit sa part de gloire dans la mécanique appliquée aux transports, car ce fut M. Marc Séguin qui, en 1828, inventant la chaudière tubulaire, étendit la surface de chauffe dans des proportions qui devaient donner à la locomotion une force irrésistible. A la même époque, George Stephenson imaginait d’activer le tirage par un jet de vapeur échappée du cylindre. Ces deux améliorations étaient toute une révolution ; on allait enfin entrer dans la pratique, et en cette matière la pratique, c’était l’établissement des chemins de fer, c’est-à-dire une rapidité de locomotion sans exemple, et l’application d’une puissance infatigable aux transports de toute espèce. Aussi, lorsqu’en 1829, au concours des machines ouvert par la compagnie du rail-way de Manchester à Liverpool, George Stephenson exposa la locomotive the Rocket, la Fusée, construite d’après les principes nouveaux de la chaudière tubulaire et de l’accélération du tirage, ce fut un cri d’admiration. Elle était à la fois forte et vite, car, pesant 4,316 kilogrammes, elle faisait 22 kilomètres à l’heure et remorquait un poids de 12,912 kilogrammes. Elle ne ressemblait guère aux admirables machines que chaque jour et sans même y prendre garde nous voyons rouler sur nos voies ferrées : elle était aux locomotives de Crampton ce que l’ichthyosaure est aux lézards ; mais telle qu’elle était, avec ses roues trop écartées, son tender chargé d’une barrique contenant l’eau réservée à la chaudière, elle renfermait les organes principaux, organes de vie, de mouvement, de vigueur, qu’on a pu améliorer depuis, et qui sont restés les organes essentiels et primordiaux de toute machine destinée à la traction. Le moteur et la voie étant trouvés, les chemins de fer étaient inventés. C’était une révolution analogue à celle qui, par la découverte de Gutenberg, avait substitué l’imprimerie à l’art des copistes. Dans sa biographie de James Watt, Arago se sert d’une comparaison saisissante pour faire comprendre à quelle puissance l’homme parvenait, grâce à la machine à vapeur. « L’ascension du Mont-Blanc, dit-il, à partir de la vallée de Chamonix, est considérée à juste titre comme l’œuvre la plus pénible qu’un homme puisse exécuter en deux jours. Ainsi le maximum mécanique dont nous soyons capables en deux fois vingt-quatre heures est mesuré par le transport du poids de notre corps à la hauteur du Mont-Blanc. Ce travail ou l’équivalent, une machine à vapeur l’exécute en brûlant un