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s’est pour ainsi dire brisée en autant de fragmens, et est devenue le polythéisme. Pour chaque ordre de faits naturels, les prêtres, les poètes et le peuple ont conçu et représenté aux yeux une figure divine à laquelle on a consacré des temples et dressé des autels ; ainsi la grande unité de la force vivante qui remue le monde se divisait en un nombre toujours croissant de forces secondaires plus ou moins adroitement coordonnées. Chez d’autres peuples, le rôle supérieur du feu occupant les esprits, on perdit de vue ses rôles secondaires, et le polythéisme, qui repose cependant sur des observations réelles et sur un fonds solide, quoique étroit, fut regardé comme une institution impie. Ailleurs le feu de l’autel, c’est-à-dire le feu envisagé dans sa fonction sacerdotale, fut mis au premier rang, et les cérémonies du culte se substituèrent à la science de la réalité. Chez les musulmans, toute fonction physique ou psychologique du principe divin fut écartée : Dieu se trouva réduit à une conception métaphysique, abstraite, d’où découla logiquement un ordre fatal. Ce sont là de grands sujets dont la science est saisie, mais dont l’étude est loin d’être épuisée. Nous faisons seulement remarquer ici que, dans la triple idée que l’on se fit des fonctions divines, chacune de celles-ci pouvait être prise pour symbole de celle qui venait immédiatement au-dessus d’elle. C’est en effet ce qui eut lieu, Le feu physique devint le symbole de la vie et le feu vital devint le symbole ou la figure de l’être métaphysique ou de Dieu, Ce symbolisme fut l’élément le plus apparent et en quelque sorte le plus ostensible de la doctrine, et constitua cette partie des religions qu’on appelle le culte. Entrons dans quelques détails empruntés aux hymnes du Vêda.

On alluma sur un tertre de terre en vue des assistans un feu qui fut l’image de l’agent universel de la vie et de la pensée. Tout dans la cérémonie eut un caractère symbolique, c’est-à-dire une signification cachée aux impies, mais claire pour les initiés, Ce feu était tiré par le frottement de deux pièces de bois qui le renfermaient éminemment ! c’était sa « nativité. » La faible étincelle vivante, souvent appelée dans le Vêda « le petit enfant, » était portée sur une poignée d’herbe sèche qu’elle enflammait aussitôt, et le feu se communiquait aux branches entassées sur l’autel ; mais parvenu aux branches supérieures, il était menacé de s’éteindre : le prêtre alors répandait sur lui le beurre clarifié et le sôma, et dès ce moment le feu était surnommé oint (ankta, agni), déployait une puissance souveraine et illuminait le monde de sa splendeur, Tous les êtres étaient convoqués à venir contempler ce spectacle de la vie concentrée en quelque sorte dans un petit espace et développant toutes ses énergies sur un terrain de quelques pieds, Le lecteur en