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éclairent la pensée individuelle pendant le cours de la vie et ne souffrent ni accroissement ni déclin. Tout le reste de la pensée est sujet à la naissance et à la mort. Parmi ces idées éternelles, il en est une qui est le centre de toutes les autres et dont celles-ci ne sont que des formes diverses, c’est l’idée de l’absolu. Elle est le principe de la science pour tous ceux qui la conçoivent. Le travail de l’esprit qui s’efforce de l’élucider constitue la science (vêda) ; la parole qui l’exprime est la plus haute et la plus compréhensive de toutes les paroles, c’est le mot, le verbe par excellence, et la voix qui l’énonce rend un chant sacré. Ce chant, ce mot, cette parole, cette science, cette raison, cette idée, voilà donc l’élément persistant de tout ce qui existe ; cet élément est en même temps l’agent de la vie et le premier moteur. Tous ces caractères réunis appartiennent à un même être qui n’a rien d’abstrait, ni rien qui soit individuel à la façon humaine. Chaque science, chaque culte, chaque langue, le nomment à leur manière ; mais son vrai nom est Dieu (Dêva), père universel et auteur de la vie, Ahura, Brahma.

Par la courte exposition que nous venons de faire de la doctrine fondamentale commune aux grandes religions, aussi bien à la nôtre qu’à celles des Indiens et des Perses, on voit que le feu, conçu d’abord comme un agent physique, s’anime quand il s’agit d’expliquer les phénomènes de la vie et devient un être métaphysique quand on le conçoit comme pensée suprême et absolue. Les religions n’ont pas toutes attribué la même importance à chacun des trois rôles du principe igné. Les moins élevées ont fait prévaloir le premier ou tout au plus le second : telles ont été les religions grecques, latines et germaniques, connues sous le nom de religions païennes. Le mazdéisme des Perses et le brahmanisme ont laissé une part considérable aux deux premiers rôles du feu dans l’interprétation de la nature ; mais, en appuyant plus encore sur le troisième, ils ont pris rang parmi les religions les plus spiritualistes. Le christianisme, sans oublier entièrement les deux premières fonctions du principe divin, a donné pourtant une importance en quelque sorte exclusive à la troisième ; la nature métaphysique de Dieu a presque absorbé toute l’idée, et, à force de l’envisager dans ses attributs définis, les philosophes et la plupart des docteurs chrétiens l’ont détaché du monde et lui ont donné une personnalité souvent excessive.

La diversité des religions est venue en grande partie de la manière différente dont on a conçu et apprécié le rôle multiple du principe découvert par les Aryas primitifs. Chez certains peuples, le rôle physique du feu ayant en quelque sorte prévalu, la religion, en l’envisageant dans les phénomènes d’ordre varié qu’il engendre,