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père, un enfant ; tout signe d’intelligence et de sentiment a cessé. Bientôt son corps se décompose, se fond, s’évapore, et il ne reste sur la terre qu’une tache noire et des os blanchis. Quant à la pensée, où est-elle ? Si l’expérience la montre indissolublement attachée à la vie, de telle sorte que là où la pensée cesse la vie s’éteint, on peut croire que la pensée a la même destinée que la vie ou plutôt que le principe qui pense est identique au principe vivant et ne forme jamais avec lui une dualité ; mais la vie, c’est la chaleur, et la chaleur tire son origine du soleil. Le feu est donc à la fois le moteur des choses, l’agent de la vie et le principe de la pensée.

Son action est double, car il est à la fois chaleur et lumière. Si le « père céleste » retirait sa lumière et que le monde tombât dans les ténèbres, en supposant que la vie pût durer encore, du moins l’intelligence serait-elle amoindrie au point de n’être presque plus rien, car les êtres qui pensent, c’est-à-dire les animaux et les hommes, tirent de la vue presque toutes leurs idées et particulièrement la plus grande de toutes, celle par laquelle nous concevons l’ordre des choses et en dégageons ce principe divin d’où elles émanent. Par ces deux chemins, les hommes d’autrefois furent conduits à penser que le principe des choses est unique et universel et qu’il peut porter le nom de feu. Nous qui venons longtemps après eux, nous pouvons dire que le feu ainsi conçu doit être caractérisé par trois épithètes répondant à ses trois fonctions : dans le premier cas il est physique, dans le second il est psychologique ou vital, dans le troisième il est métaphysique ou divin. Parvenus à cette dernière conception, les Aryas de l’Inde et de la Perse, mais surtout les premiers, entreprirent sur les phénomènes de l’intelligence une série d’analyses d’une extrême profondeur que nos philosophies occidentales sont encore loin d’avoir égalées. Nous n’en parlerons pas ici, parce que la plupart d’entre elles, quoique faites par des prêtres, n’entrèrent jamais dans le domaine de la religion et demeurèrent libres à côté d’elle. Il faut seulement remarquer que, l’agent de la pensée ayant été identifié avec l’agent de la vie et du mouvement, il y avait lieu de distinguer encore dans la pensée des élémens de nature diverse et pour ainsi dire des degrés. Il y a en effet un très grand nombre d’idées sur lesquelles les hommes sont en désaccord, parce qu’elles sont nées en eux des points de vue particuliers où ils se sont trouvés par rapport aux choses, points de vue qui sont toujours divers. Il y en a d’autres au contraire sur lesquelles les hommes sont toujours d’accord, parce que les objets en sont d’une nature simple, universelle, et ne peuvent être aperçus que d’une seule manière. Ces dernières forment ce que les modernes appellent le domaine de la raison ; elles sont innées, elles