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creusement d’un bassin de carénage pour le commerce, ne peuvent dépasser, d’après les devis, une dizaine de millions, et il sera nécessaire de les répartir dans une période de huit ans, car l’approvisionnement du chantier en hommes et en matériel, aussi bien que la saison pluviale, qui dure six mois et arrête toute construction, ne permet pas de construire pour plus d’un million par année. L’augmentation des recettes, en permettant l’envoi en 1869 d’un million à la métropole, amènera la réalisation d’espérances qui n’étaient plus douteuses pour ceux qui combattent et travaillent en Cochinchine.

Tout le monde à Saigon croit à la vitalité et à la prospérité d’une colonie que nos guerres n’ont pas dépeuplée, que la cour de Hué considérait comme son grenier d’abondance, et où l’on vient d’inaugurer la liberté complète du commerce pour les hommes de toute race. L’œuvre de la colonisation n’est donc pas attaquée dans son ensemble, elle est critiquée dans ses détails. On pourra témoigner une compassion railleuse à notre capitale naissante, qui paraît bien petite auprès de Calcutta, de San-Francisco, de Batavia, de Melbourne ; mais ces grandes villes ont eu de chétifs commencemens, elles sont restées longtemps stationnaires, la splendeur en est toute moderne et ne date que de la découverte des métaux précieux trouvés dans le voisinage, ou de l’extension prodigieuse de la vente de l’opium. Certes le gouvernement pouvait dépenser 15 millions pour élever tout de suite à Saïgon les édifices nécessaires au logement des hommes et du matériel ; mais on a préféré attendre que les ressources nouvelles eussent grandi pour faire face à ces obligations sans grever le budget de la métropole. Pendant ce temps, une administration simple, point tracassière, a fonctionné, tracé 492 kilomètres de routes, élevé des marchés, des écoles et pacifié le pays. On trouve bien les inspecteurs armés de trop de pouvoirs civils ; mais c’est seulement le manque de personnel, limité longtemps par le manque de fonds, qui a forcé de concentrer tant de fonctions disparates dans une même main. Il a fallu des gens de cœur et de tête pour déblayer le terrain, apprendre la langue et les mœurs. Dans peu de temps, le corps sera organisé, les règles locales formulées, l’application en deviendra facile, et l’administration civile, séparée du pouvoir militaire, fonctionnera régulièrement.

Ces nuances d’opinions locales sont à peu près inconnues en France, où l’on se fait une idée générale de la Cochinchine d’après notre situation aux Antilles, à la Réunion, à Cayenne et même en Algérie. Dans ces contrées, où les bras manquent, l’essor de l’industrie et de la culture est souvent arrêté, depuis l’abolition