Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours la rentrée d’Asiatiques sur un territoire qui leur est rendu par traité, ou qu’ils reconquièrent par les armes. Les représailles eussent donc été terribles, et, si cette idée d’occupation limitée eût été mise à exécution, la marine l’eût frappée d’une réprobation générale. Cependant les mandarins avaient eu bien vite connaissance de ce projet avorté, et ils l’exploitèrent habilement pour ébranler notre crédit et diminuer notre prestige aux yeux de ce peuple crédule, craintif et ignorant. D’ailleurs, il y a quatre ou cinq ans, la langue et l’écriture annamites nous étaient encore peu connues ; les lois, les mœurs et les habitudes ne nous étaient pas familières, et nous froissions souvent le peuple ou les principales familles quand nous cherchions le plus à nous les attacher. Il suffisait alors de donner un peu d’argent aux mécontens, de montrer un cachet de mandarin, de parler d’un ordre secret venu de Hué, de lancer dans les campagnes quelques hommes influens, pour mettre en un instant tout le pays en feu. Il nous fallait un effort considérable pour comprimer vite et à propos ce mouvement qui n’avait pourtant rien de national ; l’année de culture était compromise, le commerce souffrait, et notre population se désaffectionnait parce qu’elle n’avait pas toujours été protégée à temps. Malgré, ces troubles incessans, nos recettes locales, au mois de mars 1860, s’élevaient à près de 4 millions ; l’administration coloniale commençait à fonctionner avec intelligence des hommes et des choses, la marine et l’armée rivalisaient de vigilance et de fermeté : aussi les bandes de pillards ne pouvaient-elles plus s’établir nulle part avec solidité. Une inquiétude sourde, une sorte de malaise planait toutefois sur le pays. Les Annamites ne cultivaient que ce qui leur était strictement nécessaire pour se nourrir et payer l’impôt, et les transactions restaient nulles. Chacun voyait d’où venait le mal, et sentait que, pour y porter un remède immédiat, il fallait non plus garder une sorte de défensive, mais frapper l’ennemi chez lui, au cœur de la rébellion.

Cette solution était naturelle, nettement indiquée par les événemens du passé. D’ailleurs les griefs contre la cour de Hué étaient si réels et si sérieux, qu’au nom même de notre sécurité personnelle il fallait en finir. Notre invasion dans les trois provinces du sud paraissait tellement imminente aux mandarins militaires de Vinluong et de Chandoc, qu’effrayés de la responsabilité qu’ils avaient encourue, impuissans à nous résister en face, ils tentèrent une diversion et nous suscitèrent les plus graves embarras au nord de nos possessions, entre Tayning et le Cambodge. Depuis 1863, ce dernier royaume avait été placé sous notre protectorat, autant pour le sauver de lui-même que pour mettre fin aux prétentions que les cours