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« Il était facile de prévoir que cette assemblée serait fort orageuse, a dit l’homme dont le nom était alors la cause principale de ces orages. La situation des affaires publiques et les dispositions de ceux qui formaient la cabale contre M. le duc d’Aiguillon lui faisaient craindre les plus terribles agitations. Cette crainte était d’autant plus fondée que les malintentionnés ne manquaient pas de prétexte pour causer du trouble. Les attaques de la noblesse contre les ordres de l’église et du tiers, la démission du parlement, qu’on affectait de présenter comme un acte généreux de magistrats opprimés par le pouvoir absolu et qui avaient fait le sacrifice de leur état aux droits sacrés de la patrie, la dispersion de ses membres, la captivité des accusés, rétablissement d’un tribunal irrégulier pour les juger, un vieillard malheureux et son fils cruellement persécutés, punis par l’exil, quoique reconnus innocens, le despotisme armé de lettres de cachet et des ordres les plus rigoureux, tel était le tableau qu’on se proposait de présenter à la multitude pour l’émouvoir. Si l’on ajoute à cela l’espoir fondé de l’impunité qui naissait de la conviction générale où l’on était que le roi faiblirait sur le rappel du parlement comme on l’avait vu fléchir sur tout le reste depuis plusieurs années, on concevra les alarmes de M. d’Aiguillon dans le moment le plus critiqué de sa vie[1]. »


On put pressentir tout ce qui allait se passer en voyant dès la première séance 500 gentilshommes garnir le théâtre, sans avoir au milieu d’eux, pour contenir leur fougueuse inexpérience, M. de Kerguézec, alors exilé. La présidence de la noblesse incombait cette fois au duc de La Trémouille, homme honorable, mais craintif, et d’une insuffisance d’esprit que les dédains railleurs de son ordre lui firent cruellement expier. A peine les commissaires du roi eurent-ils exposé les demandes de la cour, qu’une proposition partit du bastion pour faire décider qu’aucune affaire ne serait discutée avant le vote d’une adresse au roi portant sur les points suivans : rappel des membres de l’assemblée placés sous le coup de lettres de cachet, réintégration de l’universalité du parlement dans des charges dont la suppression ne pouvait être prononcée et que ses membres seuls étaient en mesure d’occuper régulièrement, jugement des magistrats accusés par un tribunal compétent, et, s’ils étaient reconnus innocens, poursuites contre leurs calomniateurs.

Cette proposition passa au milieu des acclamations de toute la noblesse, et sans rencontrer d’opposition dans les deux autres ordres. Le commandant de la province, à qui elle fut renvoyée, répondit qu’il avait l’espoir fondé de voir sous peu les exilés

  1. Journal du duc d’Aiguillon, t. V, p. 3.