Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens du roi, aucun d’eux ne pouvait sans ridicule être transformé en criminel de lèse-majesté, encore que la distinction entre l’opposition légale et la faction n’existât très nettement pour personne dans l’ancien régime, sous lequel le droit du roi, partout limité en fait, demeurait à peu près illimité en principe.

Les commissaires avaient compris dès le début de leur triste tâche qu’il serait impossible de motiver une condamnation sur les délits politiques imputés aux prévenus sans soulever la réprobation de la magistrature et celle de la nation tout entière. De là des efforts inouïs pour accabler M. de La Chalotais personnellement sous un fait matériel de nature1 à lui retirer l’intérêt général qui s’attachait à la dignité de son caractère rehaussée par le malheur. Entrant un jour dans le cabinet de M. de Saint-Florentin, M. de Galonné avait vu sur son bureau les deux billets anonymes que la poste de Rennes venait de lui apporter. Avec la légèreté qui demeure sa seule excuse pour les fautes nombreuses de sa vie publique, il s’écria que c’était là l’écriture de M. de La Chalotais contrefaite. Sur ce mot, dont Calonne n’avait probablement mesuré la portée terrible ni pour l’accusé ni pour lui-même, trois experts furent appelés, et six lettres autographes du procureur-général leur furent remises pour pièces de comparaison. Après un long examen, ces experts, avec tout le sérieux que comportait leur profession, déposèrent une consultation technique où ils déployaient toutes les ressources de leur science et dévoilaient tous les mystères de la calligraphie. Il résulta de leurs conclusions que les deux billets étaient en effet d’une écriture contrefaite, et que cette écriture était celle de M. de La Chalotais. Ils le prouvaient par l’identité absolue que présentaient les m des billets incriminés avec trois m trouvés dans les pièces de comparaison, par la manière de pointer les i et de boucler les e, et surtout par la queue des s, dans laquelle le faussaire s’était manifestement révélé malgré les plus grands efforts pour donner le change : le doigt de Dieu était visiblement dans ces queues-là.

L’aveuglement de la passion ne recula pas devant la double absurdité d’imputer des billets orduriers à M. de La Chalotais et de les lui faire adresser au ministre même dont les bureaux contenaient plusieurs centaines de lettres écrites par le procureur-général. Lorsque l’accusé opposa un si fier dédain à cette imputation, on lui répondit en lui communiquant le rapport des experts, rapport que vinrent confirmer quelques semaines après trois écrivains jurés, mandés de Lyon par les commissaires, et qui ne se montrèrent ni moins savans ni moins convaincus que leurs confrères de Paris. Durant six mois, La Chalotais, demeuré sans communication