Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un factum de lourde érudition l’édifice qui avait commencé par s’élever sur l’air de Robin tare lure. Enfin l’une des femmes les plus à la mode de ce temps-là, Mme la marquise de La Roche, fut arrêtée sous l’imputation d’avoir reçu dans son château l’année précédente, quelques jours avant l’ouverture des états, plusieurs bastionnaires qui s’y seraient rencontrés avec M. de La Chalotais. Le château du Boschet devint, dans le système de l’accusation, le centre d’un vaste complot tramé contre la monarchie française par le procureur-général et ses complices ; quoique celui-ci, après son arrestation, eût victorieusement établi que sa visite à Mme de La Roche avait précédé de plusieurs semaines le séjour de MM. de Pire et de Kerguezec, ces deux derniers reçurent des lettres de cachet qui exilaient l’un dans ses terres, et l’autre au fond de l’Auvergne malgré son grand âge et le mauvais état de sa santé.

Au commencement de novembre, l’agitation avait pris à Rennes des proportions que l’atonie de notre vie provinciale ne nous laisse plus comprendre aujourd’hui. Dénué d’intelligence comme de résolution, le ministère semblait faire d’ailleurs tout ce qu’il fallait pour accroître ces difficultés. Il avait imaginé, par exemple, d’ordonner aux quatre-vingts magistrats démissionnaires de ne pas désemparer de la ville de Rennes, ce qui les constituait en réunion permanente, et justifiait d’avance en quelque sorte toutes les démarches qu’ils exécuteraient de concert. En prenant une aussi étrange mesure, le cabinet avait espéré les amener à remonter sur leurs sièges moyennant quelques légères concessions ; mais le pouvoir avait affaire à des hommes indépendans pour la plupart par la fortune comme par le caractère, et leur réunion les rendait d’ailleurs bien plus inaccessibles encore à des tentatives dont le succès est plus facile sur des individus isolés que sur un corps relié par une solidarité générale. C’est alors qu’il se résolut à une mesure dont les conséquences ne tardèrent pas à l’entraîner dans un abîme d’insolubles difficultés.

Le 11 novembre à une heure du matin, tous les abords de l’hôtel où résidaient les deux procureurs-généraux furent cernés par les dragons d’Autichamp, et M. de La Chalotais, éveillé eh sursaut par un officier, dut se lever et partir immédiatement pour une destination ignorée, sans obtenir la consolation d’embrasser sa famille. M. de Caradeuc, arraché de la chambre de sa femme, grosse de sept mois, eut le même sort, et réclama vainement la communication des ordres en vertu desquels ce double enlèvement était opéré. Des notaires, dont les chefs militaires s’étaient fait accompagner à défaut de magistrats, apposèrent immédiatement les scellés sur tous les papiers de l’hôtel. Dans la même nuit, des mesures semblables